18.3.12

Le champ de sable #2

Quand on la voyait passer au volant de son gros break VW, on se demandait d'abord où étaient les irresponsables parents qui avaient laissé trainer leurs clés de voiture. Sa tête affleurait à peine le volant. Au deuxième coup d'oeil, on reconnaissait la tête brune, les rides de maturité, et on était tenté de lui proposer au moins un siège réhausseur. Pourtant Camille avait bien son permis, depuis une bonne quinzaine d'années, et elle conduisait son break avec assurance. 1, 55, 45 kg toute mouillée, sa silhouette androgyne lui donnait cet air adolescent vite démenti par le regard triste.
Personne ne la connaissait vraiment. On ne lui savait pas de famille. Sa maison, aussi petite que grosse sa voiture, était au bout d'une impasse qui avait pour elle une vue mer, très dégagée. Une maison héritée.
Camille travaillait dans les assurances, allait au club de gym,  faisait les courses au supermarché du village, prenait deux semaines de vacances à l'étranger, c'est ce qu'on disait, ne souriait jamais, ne parlait pas souvent.
Un jour pourtant, on a vu s'accumuler le courrier dans sa boite, entre les publicités et les journaux, le facteur n'avait reçu aucune consigne, et continuait de croire qu'elle allait rentrer.
Il se passa six mois durant lesquels les bavardages allaient bon train et sans que personne n'aille chercher plus loin. Ici, chacun sait ce qui se passe chez le voisin, mais n'interviendra pas.
Et puis, le break fut de nouveau garé devant le portail blanc, et les volets roulants rentrés.
On vit Camille avec une poussette, une belle, on vit aussi que son regard n'était plus le même.
Les spéculations atteignirent un sommet. Mais qui était le père?
Jamais personne ne prenait d'apéro chez Camille, jamais une autre voiture ne se plaçait derrière la sienne, jamais on n'eut la moindre suspicion d'une aventure possible.
Et pourtant une métamorphose semblait s'être opérée. Camille souriait, Camille parlait aux gens, allait se promener tous les après-midi en poussette, et les lumières de sa maison restaient allumées tard dans la nuit.
Elle invita les voisins à fêter son "retour" et présenta sa fille à qui voulait et qui s'en fichait tout autant, mais la curiosité était la plus forte.
Personne ne se risqua à poser plus de question sur le père hypothétique après qu'elle eut annoncé qu'il s'était tué dans un accident de voiture. Un drame horrible, la voiture sous un car, elle l'avait connu à son travail, il s'assurait chez eux, et ils allaient se marier surement un jour.
Camille ne demandait l'aide de personne pour s'occuper de son bébé, et ne le quittait jamais, ni d'un oeil, ni une minute. Elle ne s'attacha à personne en particulier bien que de nombreuses voisines, attendries par l'histoire de cette petite, se proposèrent de dépanner pour les courses ou pour peut-être une soirée cinéma, elle devait bien avoir envie d'aller passer un moment de loisir, non? Non.
Camille et sa fille, Léa, devinrent le couple le plus soudés et le plus célèbre du village et pourtant le plus anonyme aussi.

....


7 commentaires:

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    1. ben ouais, c'est faitéspres :-). Faut que ça tienne sacrebleu.

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  2. Et toc
    ben non pourquoi tu devrais nous faire attendre ? Il tombe à pic ce 2 là.
    Et toc.

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    1. J'aime bien me faire attendre moi, me faire désirer toussa... :-)

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  3. François Pignon18 mars 2012 à 22:50

    "On ne lui connaissait pas de famille"… "elle habitait une maison héritée".

    Bon ok, je sors.

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    1. Mdr ! Héritée : ils sont tous morts. Elle n'a plus de famille. :-))

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    2. Joli, mais hélas j'ai peur de connaître la fin !

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