26.8.11

Fier et Rouge de l'être.


C'est un peu le château de mon enfance. Si l'on me demandait si je connaissais un château, c'était celui-là. Entre temps, j'en ai visité quelques autres, mais peut-être que c'est lui qui m'a donné le goût de cette couleur fabuleuse, le rouge. Aujourd'hui, le château de la belle au bois dormant serait celui de Joséphine Baker, le château des Milandes, un bijou dans son genre.
Mais celui dont je vais te parler ce matin, est bien plus puissant.
La première fois que je l'ai vu, il avait encore les stigmates d'une guerre dont il tente encore aujourd'hui de se remettre. Un trou défigurait sa toiture, comme si la foudre avait frappé plusieurs fois, alors qu'il s'agissait de bombes, rien de bien romantique.
Alors que dans les années 1900...


-Mère! Françoise m'a envoyé une invitation à la soirée d'inauguration du château de son père! criais-je en brandissant le courrier du matin que venait de me tendre notre homme à tout faire. 
La missive, venue de Bretagne, avait mis plusieurs jours à me parvenir à travers la lande, puis les chemins boueux, les forêts, et les routes pavées de bonnes intentions. Nous habitions Paris, haut lieu de la culture, des arts et des sciences, indispensable à la fonction d'architecte de mon père, héritier de mon grand-père. 
Nous étions en 1908 et l'affaire du château secouait depuis des années la paroisse de Sant-Wazeg, chacun cherchant à en savoir un peu plus sur ce qui s'y tramait. De drôles de machines étaient arrivées tant bien que mal de la capitale, et même si le recteur donnait toujours la messe dans la chapelle du domaine, tous les fidèles levaient la tête en sortant pour regarder les échafaudages qui cachaient depuis trop longtemps, la construction de ce qui semblait être une pure folie. 
James de Kerjégu, élu président du conseil général de Quimperlé, avait vu grand. En disponibilité depuis les années 80 de son poste de diplomate, il était revenu sur ses terres pour diriger son immense exploitation agricole.


Nul doute que ses voyages au Mexique et au Paraguay où il a exercé quelques années, lui avaient donné l'envie de luxe et de confort. Et ses nombreuses relations, l'envie de concrétiser ses idées de modernisme social. 
Françoise est née sur les terres de Trévarez, de l'union de son père avec l'héritière de la fortune d'un banquier du grand duché de Bade, Laure de Haber. C'est pratique les voyages pour lutter contre l'endogamie. Son père, James, a l'esprit ouvert. Il est multilingue et très curieux de tout.
C'est ensemble que les parents de Françoise ont décidé de construire ce château fabuleux. Venant de sa Forêt Noire pour s'installer sur les flancs de la Montagne Noire, Laure est une jeune femme très au fait de la mode et des soirées chics qu'elle a pu organiser lors des séjours de son mari à Paris. 


J'ai connu Françoise quand j'avais 16 ans et que j'accompagnais mon père, l'architecte Walter-André Destailleur. Françoise et moi passions des après-midi entiers à parcourir le domaine sur les chevaux racés de l'écurie, premier bâtiment terminé. Le Menez-Du se laissait harasser par les sabots des chevaux aux meilleures heures du jour, et nous faisions de grands courses sur la prairie en contrebas du château. Ainsi, je quittais souvent la capitale avec la certitude de me perdre dans la campagne bretonne, et le plaisir de retrouver mon amie Soazig, comme l'appellent les gens d'ici.

-Que vas-tu porter ma fille? demandait ma mère, déjà inquiète de plaire par mon intermédiaire à l'aristocratie bretonne.
(Elle nous avait accompagné mon père et moi lors de notre dernier voyage dans ce bout du monde, et malgré le dégoût de poser ses bottines dans la boue campagnarde, elle était tombée sous le charme de la famille Kerjégu, ou bien de sa fortune, allez savoir.)
Françoise et moi avions caché à ma mère le fait que nous portions les pantalons du jardinier quand nous parcourions le domaine à cheval, et nous grimpions quatre à quatre nous changer avant que quiconque nous aperçoive, en cheveux et pantalons d'homme, pouffant dans nos tresses défaites, les joues roses du plein air estival. Laure et James s'amusaient de nos escapades, parfois ils nous conviaient à les suivre lors des chasses au chevreuil, fréquentes pour la sauvegarde des cultures. Laure montait en amazone, portant une sorte de jupe culotte, qui sauvait les apparences et permettait la monte. 


-Tu sais, je crois que Françoise me proposera de choisir dans sa garde-robe, elle a un goût très sûr, et nous faisons la même taille.
Trois jours plus tard nous avons pris la route, en partie en train et le reste en calèche, nos pauvres corps moulus arrivant à Saint-Goazec deux jours avant la date prévue de l'inauguration. 
Tout le village participait à la fête, James de Kerjégu étant proche de ses gens, des gens, du peuple, et tous étaient flattés, ravis, curieux de voir ce que le Président avait concocté. 


Il y avait foule dans les jardins, la place encore vierge de plantations devant le château avait été ratissée et l'on avait jeté de la paille en quantité pour effacer les traces des récents travaux. 


Des tables de banquet avaient été installées, on se passerait de manger dans les tranchées habituelles cette fois, ces travées que l'on creusait dans les champs lors des mariages pour y placer les convives, des doubles tranchées avec un terre plein central où se posaient nappes et assiettes. 


Les nappes claquaient au vent, les coiffes étaient blanches et amidonnées elles restaient fières sur les cheveux roulés, coiffe de filet brodé, portés avec des tronçues, très aérien. Les filles portaient leur robes noires et leurs tabliers rouges pourpres, nul doute qu'elles n'auraient pas froid en ce mois de juillet 1908. Les hommes, portaient le bragou-bras beige (pantalon large, avec plus ou moins de plis), avec des guêtres brodées, un gilet noir brodé sur une chemise blanche aux manches longues et larges. 
Tous ces gens, souriants, tranchaient avec les amis parisiens, venus en habits de ville, les hauts de forme résistant mal au vent breton, les ombrelles se retournant, les jupons des femmes battant le tambour aussi fort que les nappes. 
Je m'amusais beaucoup avec Soizig/Françoise, et nous visitions chaque pièce du château avec des mines d'étonnement à moitié feint devant les objets étranges qui ne nous étaient pas familiers, comme ces baignoires, ces cabinets de toilette attenants à chaque appartement des invités, le téléphone interne, et surtout cette piscine privée dans l'appartement de James et Laure. 
Cette mémorable journée ne compte pas le nombre d'allers retours que nous avons fait entre les cuisines et la salle à manger dans laquelle les invités parisiens se sont retrouvés le soir. Le monte-plat fonctionnait à plein et l'ascenseur mettait en joie les jambes fatiguées des dames qui ont dansé toute une partie de l'après-midi et de la nuit. Nous étions depuis longtemps endormies quand les dernières lumières de la fée électricité se sont éteintes, et qu'ont cessé de résonner les pas des femmes de chambre dans les vastes couloirs. 




Bien des années après, je retrouvais Françoise, et nous évoquions ces heures heureuses. Entre temps, les guerres avaient passées, elle avait hérité du domaine dès l'année qui avait suivi son inauguration, à la mort de James. Devenue marquise, par son mariage avec le marquis de La Ferronnays, elle avait dû céder son château aux forces d'occupations allemandes, au début de la deuxième guerre, qui l'occupèrent pour le repos de leurs blessés. 
Le 30 juillet 1944, la RAF a bombardé le château. 






Depuis 1968, le conseil général tente de restaurer le patrimoine. Quelques pièces du rez-de-chaussé sont ouvertes au public avec une belle expo sur la fabrication du château au début du siècle dernier.

Et surtout, jusqu'au 16 octobre 2011, une fabuleuse expo de land-art de Patrick Dougherty, avec une tortue géante en saule. Les enfants s'y sont précipités pour en faire le tour, l'intérieur, l'extérieur etc...

Et puis le jardin et les arbres centenaires...les rhododendrons géants...
Bref, Trévarez, Château magique.

PS: Tous les personnages sont vrais (sauf le mien, je ne sais pas du tout si Walter l'architecte avait une fille) . Je ne sais pas non plus ce qu'est de venu la famille Ferronnays, Françoise étant décédée en 1958 (c'est pas loin hein). James de Kerjégu est mort à 61 ans en 1909, je ne pouvais donc situer mon action qu'avant cette date et après la fin de construction du château en 1907. Je ne sais pas non plus s'il y a eu une inauguration. Mais je pense qu'il est plausible que la confrontation entre le monde de la campagne et de la ville ait eu lieu. Les costumes bretons sont figurés dans les liens, ceux des élégantes de Paris, non, mais tous le monde connaît la belle époque, avec la silhouette en S (chaque courbe figurant les seins et les fesses) les ombrelles et les bibis. Les hommes eux, avec les hauts de forme. 
Ce château est exceptionnel par la volonté du constructeur d'y mettre tout le confort pouvant exister à l'époque et toutes les technologies connues : charpente métallique, chauffage central, bains etc...
Il y a aussi un lien qui précise tout ça. 
Fouillez, visitez, et allez voir en vrai, si vous pouvez!



16 commentaires:

  1. Texte et photos superbes, et quelques souvenirs pour moi aussi. Certes pas aussi intimes...

    RépondreSupprimer
  2. Merci Patrick :-) Et encore, je ne t'ai pas tout raconté :-)...

    RépondreSupprimer
  3. Drôle de château et drôle d'histoire pour et autour de ce château de Trévarez. Personnellement, je le préférerais en pierre de Charente (celle utilisée au XVIIIe lors de la réfection de la grande porte de la citadelle de Port Louis).
    Toutes choses égales par ailleurs, pour la construction de Vaux-le-Vicomte, l'architecte Louis Le Vau avait proposé la brique pour des questions de budget. Nicolas Fouquet refusa tout net. Il a bien fait… enfin faut voir.

    RépondreSupprimer
  4. coiffes portées avec des....? tronçues ? damned !
    j'aime beaucoup cette Laure et sa piscine avec James.
    j'aime énormément la brique, au dehors comme au dedans. A Angkor Wat, Cambodge, il y a un monument exceptionnel restauré comme avant...en briques. Une merveille.

    RépondreSupprimer
  5. Marcus, bof, c'est d'un commun la pierre de charente! doit pas y avoir des masses de château en briques et pierres de Kersanton! Jaloux va!

    Laure, Tronçues, ouais je sais, c'est barbare, j'ai pas trouvé le sens, ça doit être du breton françisé pour dire "arceau" puisque ça ressemble à ça.
    Angkor Vat, ben oui, j'y suis allée faire un tour en rêves :-)) Peut-être que James de Kerjégu aussi, en vrai va t-on savoir?

    RépondreSupprimer
  6. maja sous influences28 août 2011 à 18:49

    beaucoup de souvenirs là bas aussi pour moi...la magie des crèches de Noël surtout! et comment cela se fait-il que je ne sois pas encore aller voir l’œuvre de Dougherty alors que je l'ai programmée depuis des semaines?

    RépondreSupprimer
  7. J'aime beaucoup ta façon de raconter l'histoire de ce château. C'est réussi.
    :-)

    RépondreSupprimer
  8. Ciel, que tout cela est vivant!
    J'y ai plongé les yeux fermés (enfin, pas tout à fait, fallait bien lire!), le nez au vent et la bouche sucrée, et je me suis régalée de ton récit.

    RépondreSupprimer
  9. Moi qui n'aime pas franchement les châteaux et ce qu'ils représentent, j'avais été troublée par celui-là et son histoire. Nous y étions allés pour une expo sur l'Inde, et avions finalement passé plus de temps à explorer le parc et comprendre cette histoire, que tu as si bien bricolée.

    (nb: l'expo n'était pas terrible: des petits pots ducro en tant que représentation des épices...ça gâche!)

    RépondreSupprimer
  10. quel talent! Magnifique texte, photos superbes, titre excellent. Bravo.

    RépondreSupprimer
  11. Maja, ben oui quoi, qu'attends-tu? (depuis que tu as laissé ce com tu y es peut-être allée?)
    Phil, merci ;)
    Tamutter, merci merci :-)
    Le Jardin,, celle-là elle vaut le coup, vrai de vrai. Pis à Noël, y a les crèches :-). Mais bon, au printemps, y a les rhodo :-))
    Ariana, tout ça? j'espère que t'es prof, des notations pareilles ça remonte le moral :-))

    RépondreSupprimer
  12. en fait, je fais rarement des compliments, il faut vraiment que je sois conquise, convaincue et admirative. Donc quand mes élèves ont des compliments, ils savent que c'est vrai!

    RépondreSupprimer
  13. Moi il me fout les chocottes ce chateau. (en live, jveux dire) Je sais pas pourquoi.

    RépondreSupprimer
  14. Peut-être son "agressivité" avec toutes ces pointes? j'ai fait quelques noirs et blancs qui rendent très différente l'apparence du château.

    RépondreSupprimer
  15. c'est également le chateau de mon enfance
    petite j'y allais au moins 1/2 fois par an m'y promener
    J'y suis allée cet été, et j'ai été surprise de toutes les pièces rénovées.
    J'aime ce chateau atypique qui symbolise mes vacances chez ma grand mère

    RépondreSupprimer
  16. Il en existe un autre près de Vierzon construit par le même architecte juste avant Trévarez... C'est le chateau de Vouzeron pour le baron Roger. Allez voir la ressemblance est étonnante.

    RépondreSupprimer

Un petit mot n'est jamais si petit.

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.