20.2.10

Lettre à Mme B.


Chère Madame B.
Je vais vous tutoyer, si vous le permettez.
Vos idées, vos combats, sont miens souvent.
Votre mari a également toute mon admiration.
Parfois, je me transformerais bien en petite souris pour assister à vos conversations lors d'un dîner. Entre "passe moi le sel" et le dessert, le mots doivent être de haute volée, et sans doute la petite souris serait émerveillée de tant de culture et d'intelligence.
Je suis déjà en-porte-à-faux dans cette discussion parce que je n'ai même pas lu ton dernier livre "Le Conflit" aux éditions Flammarion. Et ce n'est pas bien de discuter de quelque chose que l'on ne connait pas.
Néanmoins, j'ai cru comprendre que tu stigmatisais le discours des pro-allaitement.
Que le discours actuel, en plus de conforter la place de la femme dans son foyer avec ses enfants, parce que c'est là que serait sa place, prône l'allaitement en terme de vertu maternelle...et que c'est dangereux pour la place de la femme dans notre société.
Bon.
En 2001 à la naissance de mon premier enfant, j'avais décidé d'allaiter.
Les beaux discours peut-être, la belle image du sein de la mère nourricière, la composition parfaite du lait, tout à fait adaptée au nourrisson...je ne sais pas ce qui m'a décidée entre tout cela, mais je suis sûre d'une chose, c'est qu'une fois passées les premières difficultés, l'allaitement a grandement facilité ma vie, et je me suis sentie extrèmement libre.
Les premières difficultés en question ont été que je n'avais aucun modèle sur lequel me référer. A la maternité, la tendance aurait été de céder et finir par passer au biberon. Bien plus facile. La fatigue d'un accouchement très difficile, la faiblesse due à la chute d'hormones qui crée le baby blues...j'ai failli faillir.
Seulement je suis restée assez longtemps, plus que la moyenne, et le dernier jour, une bienheureuse sage femme a su me montrer les gestes, les bons gestes, et jamais je ne la remercierai assez de cela, elle a sauvé mon "allaitement".
Je ne vais pas dire non plus que les semaines qui ont suivi ont été simples. Du lait, j'en avais, trop. Comment peut-on dire avoir trop de lait? de même pas assez de lait? on a le lait qu'il faut pour l'enfant qu'on a fait naître. Mais je ne savais pas.
Bref.
Avec l'aide du papa, qui s'il n'avait pas de biberon à donner, a su s'occuper de la mère, alléger ses taches ménagères; il a nourri la mère qui nourrissait l'enfant.
Et puis je voulais. Nom d'un chien, je voulais y arriver. L'impression d'avoir raté la naissance, je devais réussir l'allaitement.
Instinct maternel? non, sûrement pas.
Mais je trouvais encore pire de se lever la nuit pour faire chauffer de l'eau, stériliser un biberon, attendre la bonne température, pendant que l'enfant essayait la puissance de ses poumons. Non, elle ouvrait la bouche parce qu'elle avait faim, elle trouvait tout de suite du lait à bonne température, sans même que j'aie eu à ouvrir les yeux, ou presque.
Et puis, Elisabeth, j'ai même réussi à reprendre le travail à temps plein, en continuant l'allaitement. Il me suffisait de tirer mon lait, manuellement (je ne suis pas adepte de la trayeuse électrique sauf dans la ferme de mon voisin) le matin, le midi dans mon entreprise en m'enfermant un petit quart d'heure dans les toilettes, parce que bien sûr, on ne fait pas ces choses là quand on est une femme qui travaille.
Depuis, je continue d'entendre dire qu'une telle qui avait voulu allaiter n'avait pas pu, parce qu'elle n'avait pas la morphologie adéquate. Ou bien, parce que l'enfant ne savait pas téter. Ou encore parce qu'il ne grossissait pas ses tant de grammes par jour. Ou alors les réflexions du genre: mais comment es tu sûre de lui donner assez?
Chère Elisabeth, explique leur que chaque femme peut allaiter. C'est parfois plus fastidieux, compliqué, difficile...mais si ces femmes étaient tombées sur une sage femme diplômée en allaitement, oui, elles existent, ce ne sont même pas des intégristes, elles sont scientifiques, elles savent le comment du pourquoi et ont la solution, elles auraient pu aller au bout de leur volonté.
Il y a des mamans qui préfèrent donner le biberon. Mais elles ont raison! 
La liberté, c'est de pouvoir choisir.
La liberté c'est d'avoir tous les éléments en main, pour peser le pour et le contre.
J'estime avoir eu de la chance.
Etre tombée sur les bonnes personnes (merci belle soeur sage femme de répondre à mes appels et de m'expliquer tout).
La Leache league? c'est comme partout, il y a  les bons conseils et les mauvais.
Ne jamais forcer la vonlonté ni stigmatiser tel ou tel choix.
La liberté d'être parents c'est d'assumer le choix que l'on fait.
J'ai allaité chacun 20 mois environ. En travaillant, à plein temps d'abord puis 3/4 temps.
Quand j'ai voulu reprendre mon activité après mon dernier enfant, ce 3/4 temps m'a été refusé.
Et pourtant je travaille encore, je me suis adaptée. Je suis moins riche et plus riche. Je suis moins libre et beaucoup plus libre.
J'assume mes choix.
Et je ne crois pas en cette dictature de l'allaitement. Je crois que rien n'est fait pour aider les femmes qui veulent le faire.
Les couches.
Ah! parlons en.
Toi, d'une famille de publicitaires, et moi écolo bobo. Soucieuse de l'environnement mais qui aime son petit confort. J'ai tenté les couches lavables. Tenu 6 mois: trop de lessives, je ne suis pas adepte non plus de trop de ménage, toujours ce poil dans la main. Et, je suis revenue aux couches jetables, la mort dans l'âme; quand on voit de quoi elles sont composées, brrrr.
Mais j'ai essayé, c'était aussi un choix.
Mon dernier truc, c'est de jeter la couche pour nous les femmes. Tu sais, cette période mensuelle qui nous pourrit la vie, fini le diktat des couches et tampons. Tu n'appelles pas ça des couches? ben non, mais c'est tout comme non? On est vite fait renvoyées à notre condition de femme chaque mois...maintenant j'utilise ce truc fabuleux écolo bobo parfait, qui me facilite aussi grandement la vie de femme qui fait ce qu'elle veut, qui sait dire non et crée sa petite entreprise qui ne craint presque pas la crise. Mais on en parle pas de ce machin là, c'est sûr, pas de pub pour ça, ça ne rapporterait plus assez d'argent!
Tu vois Elisabeth, je suis femme, qui a des enfants, même pas une mère parfaite, j'essaie juste de faire du mieux que je peux, j'aime un homme, je travaille, j'ai toujours des idées, je refuse la consommation comme on nous la propose mais je suis pleine de contradictions; je suis comme une galette de riz à la pâte à tartiner. La galette de riz c'est mon côté "propre sur moi" et le "nut***" mes vices.
Une bonne conscience qui a ses défaut.
Je souhaite que les questions que tu poses fasse réagir notre élite, que l'on prenne conscience enfin, que tout doit être possible, sans jugement aucun de la bonne ou mauvaise mère. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise mère.
Juste la liberté de faire des choix.
Merci Elisabeth, tiens, je te trouve aussi toujours aussi belle.
PS: demain, je lis ton livre, ça m'apprendra...

PS2 le 22 février: si ce billet reste maladroit, je suis quand même  surprise de constater qu'il fait écho.
Vous êtes nombreuses à vous sentir concernées par les mots que l'on entend dire de Mme B.
Pour être vraiment honnête dans ma démarche, je vais lire le livre parce qu'il reste aussi valable que les interprétations peuvent être nombreuses. Et simplistes.

Je lie à ce billet un lien que Tanakia m'a transmis dans les commentaires.
J'espère que nous parviendrons à faire la part des choses, l'essentiel étant de ne pas oublier que notre statut reste fragile et qu'il faut savoir rester qui nous sommes, qui nous voulons être et non pas être ce que l'on voudrait que l'on soit. Ce n'est pas très clair, mais la liberté de choix et de penser c'est un credo qui s'applique pour moi.
Je vous remercie toutes de ces échanges, j'adore ;)

11.2.10

Matins d'hiver...

 .

Tiens, ce matin il neige.
Comme chaque matin, je me lève, douloureusement, il fait tellement meilleur sous la couette, et je descends, dans le salon.
Je regarde dehors, c'est tout blanc, il fait encore nuit, je frissonne.
Le poêle est noir, froid, éteint.
Ouvrir la porte, accumuler le papier, le carton, le petit bois s'il y a, et chauffer la maison.
En haut, j'entends les petits pas, la porte qui s'ouvre en grinçant (faut mettre de l'huile, vous me le rappellerez?) et la voix de mon fils me dire: "on peut jouer un peu maman?"
Oui, tu peux, mais cinq minutes car aujourd'hui il y a école, alors c'est la course.
Le feu brûle vaille que vaille, je souffle dessus comme sur mes mains quand je suis dehors sur la neige, avec l'envie d'avoir chaud.
Je prépare leurs habits du jour, je les apporte dans leur chambre. Je peine à ouvrir la porte, il y a un obstacle derrière...ils jouent...c'est à dire, ils ont posé leurs couettes, les trois, au sol, se sont mis dans la housse de couette, chacun dans la sienne...tu vois des bosses, tu entends le silence parce qu'ils sont cachés tu vois, et puis tu entends le rire irrépressible, étouffé, le petit cri de souris, aigu, le plaisir de disparaître.
Si tu regardes encore mieux, hésitant entre l'irritation du retard qui va être réel, à force, et le bonheur de les voir complices,  tu verras dépasser entre les mèches de cheveux, une queue de dinosaure ou d'hippopotame rose en peluche, et tu réalises qu'ils recréent dans la housse de couette, leur nid bien au chaud, une vie bien organisée, une classe de dinosaures, alignés les uns à côtés des autres, un empilement de peluches qui jouent à être des enfants, tout un monde à leur taille.
Et là tu annonces la sentence fatale: les enfants, sortez de là, il faut s'habiller, c'est l'heure du petit déjeuner..."et après on pourra jouer?" me crient-ils quasi désespérés. Non, après c'est l'école...
Et là, c'est le credo, la maxime dès qu'un truc va de travers, la grimace adéquate, et le front bas, le regard au sol:
"ooooh, c'est pas juste!"
Ben non, mes chéris, c'est pas juste.
M'enfin, regardez dehors, aujourd'hui il y a de la neige, et en plus demain soir, les vacances!

5.2.10

Orgie.

 .


Aux murs, des couleurs, du blanc, du rouge, du vert, du jaune, du vide, ou plutôt le jardin, des tableaux, des photos, des tas.
Au sol, des jouets, de la poussière, des crayons, du papier, des dessins, des tas de légo.
Sur les étagères quelques centaines de livres, des poches, des "10/18", des "j'ai lu", quelques "beaux", beaucoup de mots.
Entre les étagères, des colonnes, quelques centaines de disques, de notes, de sons, d'associations, d'harmonies et de désaccord harmonieux, du classique, du jazz, de la variété, de tout, des tas de chansons, de mots.
Des meubles aussi.
Des jambes, qui marchent, des genoux qui courent au sol, des coussinets, qui tracent du silence.
Des cris, des rires, des voix, des sourires et des visages.
Et puis...
Et puis dans ma tête un discours, mille textes, des fourmis qui se disputent la part belle, comme un long fleuve pas tranquille, la tempête, des mots qui forment nuage, un tag géant, une idée de courant d'air enfermée à double tour, impossible de faire un tri, de ranger, de cacher ou dévoiler, je découvre des airs de slams, des chansons pas sages, des images d'avant, du futur à l'avenant, un méli mélo pas mélo de mots colorés, enflammés, ciselés parfois, comme travaillés, surannés, une dentelle autour des lèvres comme un collet monté, le bâillon se déchire, transpire, veut dire, et reste muet.

4.2.10

Quand vint (enfin?) le silence...

 Billet rédigé à cause ou grâce aux "Grillons " de Phil...

Il devait être 15h, ou à peu près, enfin, une heure pile puisqu'elle sonnait la fin d'un cours.
Je me suis retournée vers ma voisine et bien que la voyant bouger ses lèvres, je ne comprenais pas ce qu'elle disait. Ca faisait comme un film muet au ralenti, un Charlie Chaplin des temps modernes grimaçant sur sa machine, ouvrant des yeux ronds, abruti par le travail à la chaine.
J'entendais le bruit des chaises qu'on bouge, mais j'entendais plus encore, un craquement, un grondement, un sifflement, sourdre de l'intérieur de ma tête.
Je n'étais plus concentrée, je n'entendais plus que moi qui ne disait rien, j'avais une radio dans ma tête sauf que la fréquence ne se réglait pas d'un simple tour d'oreille.
A la fin de la journée, je dus marcher tête basse, concentrée sur les lignes des pavés, attentive aux sons nouveaux qui faisaient la part belle aux bruits de la ville. J'ai failli être happée par les portes grinçantes du bus, je ne les entendais plus de la même façon, je ne les avait pas reconnues.
Par cette magie maternelle qui a su dans la minute que l'affaire devait être sérieuse, je finissais la soirée d'abord chez un ORL et finalement à l'hôpital.
Voilà qui était bizarre.
Je n'avais mal nulle part, je me sentais assez en forme finalement, entourée de personnes pleine de bonnes attentions, c'était un jeu, tout se soigne.
J'avais des fous rires en répondant au téléphone de ce que j'appellerais plus tard ma "mauvaise" oreille, et que, n'entendant pas la voix de mon interlocuteur et répétant bêtement deux ou trois fois allo? allo?, je raccrochais, avant de réaliser que...
Je garde un souvenir assez flous de ces moments vagues d'interrogations diverses, de questionnement médical sérieux et embêté, j'appris que quand on ne peux pas poser un diagnostique ou trouver la cause d'un dysfonctionnement, on élude en parlant de "surdité brusque". Ben, oui, c'est un fait un jour j'entendais, et brusquement je n'entendais plus. D'une oreille seulement. La gauche.
J'avais de ces traitements qu'on donne aux "vieux" ces trucs qui fluidifient le sang m'a t-on expliqué, ou bien, la gloire, trente heures de "caisson hyperbare"; assise dans un coin je crois qu'en plus de dix séances j'ai lu tout Troyat, seule littérature possible à la bibliothèque de l'hôpital. Mes journées étaient longues, je me souviens d'un immense ennui, rien à faire dans ce lieu, pas de visites puisqu'à une heure de route de la maison.
J'ai même eu droit à des électrodes sur mon cuir chevelu pour voir l'activité de ce qui se passait là dessous.
Nada, rien, pas d'explications.
Je pris donc l'habitude de vivre avec. Je me rendis compte que les bruits de ma tête avaient cessé et cela était une victoire en soi, car entendre sans pause sonore aucune, du bruit, c'est épuisant. Tu poses ta tête sur l'oreiller et tu as encore un truc qui vient de siffler à l'oreille, tu mets un casque anti bruit, le bruit est dedans, tu écoute le bruit de la mer avec une scie sauteuse au loin...
J'ouvre mieux les yeux.
Mon oreille droite est quasi parfaite, elle compense, elle entend plus que ce qu'elle devrait.
J'ai fini de faire l'effort de tout comprendre des conversations à plus de quatre.
Fini de me tourner vers mon interlocuteur pour le comprendre, il se déplace ou bien moi, mais j'en ai vite assez de fixer les lèvres pour parvenir à comprendre un mot.
Ca m'arrive encore, lors du JT par exemple, d'essayer de comprendre sans écouter avec le mouvement des lèvres. Ce qui est drôle, c'est que les gens articulent différemment aussi avec les lèvres. Je suis capable assez rapidement de voir si c'est un film en anglais ou en français. Mais vous aussi sans doute.`
Je ne sais jamais d'où viennent les sons, il ne faut donc pas compter sur moi pour trouver d'où vient le cri de l'enfant lors d'une chute. En plus, les chameaux, quand je demande: "t'es où?" ils me répondent "làààà"...ça m'aide,  c'est sûr.
Avec moi aussi, leurs secrets sont bien gardés. Ils s'approchent de moi, accrochent leurs bras autour de mon cou, me tirent le visage vers eux en disant, viens, je vais te dire un secret, et contre ma mauvaise oreille se posent leurs lèvres et je sens le souffle chaud d'un secret brûlant que jamais je ne révèlerais...
Etre à moitié sourde, c'est une chance finalement: je suis mieux concentrée, je dors dans le silence, j'écoute autant de musique, je lis aussi vite qu'avant, je suis contente de ne pas avoir perdu la vue.
Un jour, j'apprendrai la langue des signes.
Mais cela voudra dire que j'ai décidé de rester sourde. Et je ne suis pas sûre de l'être assez.

PS: il n'existe pas d'appareillage pour les surdités de ce type. Je ne porterai donc jamais, quelle chance!, de sonothone...et je ne serai pas comme un v...c... ;-)