29.2.12

voyage#2

Ils en parlent depuis tellement longtemps.
La vigne dont les raisins se trouvent juste au bout des doigts en levant la tête, dans ce café, là, avec la petite vieille. Les pics qu'on grimpe, essoufflés, pour se faire dépasser par des petits jeunes lourdement harnachés. Les couleurs de la ville au soleil couchant. Les cochons qui se baladent en liberté.
Le caractère de l'habitant. "Ils sont comme ça".
Alors, évidemment, quand ils ont partagé la somme, il devait en rester pour le budget vacances, et les vacances, ce serait là-bas, comme s'il n'existait rien d'autre.
Sur le moment, je n'écoutais pas vraiment.
Il fut un temps où je n'avais la tête à rien, ou juste à dire oui, oui, pour qu'on me fiche la paix.
Et puis les billets sont arrivés. Ça devenait concret. Mais toujours pas pour moi.
Je vois les cartes, les guides verts, les atlas, je lis les noms, je vois des photos, mais c'est tellement loin.
Soudain je réalise que ma vie se joue des contraintes. Tout ce qu'on m'oblige, ce qu'on me dicte, je lutte contre. Indépendamment de ma volonté, c'est un fait, je constate que suivre la ligne qu'on me trace c'est pas pour moi.
Alors, ce voyage, sans le vouloir, je me dis que si j'avais pu choisir ce n'est pas là que je serais allée. Qu'avec la même somme, c'est l'Italie que j'aurais choisie. Une ville en Italie, une seule. Celle dont je rêve depuis des années, au point d'en acheter les guides, les compulser.
Mais ça, c'est mon mauvais côté qui s'exprime.
Au fond, je sais que c'est une chance de prendre le bateau pour l'île de beauté, que c'est une chance de partir en vacances, chose que nous n'avons pas fait depuis 7 ans, c'est une chance de partir.
C'est ça que j'aime le plus : partir.
Le voyage est dans ce mot là, partir.
En avril je vais partir.
Je vais partir, je vais partir, je vais partir...

28.2.12

Voyage#1

Le bateau sera jaune.
Jaune canari.
On arrivera sans doute à se frayer un chemin dans les voitures, on sera sûrement épuisés par les deux jours de route.
Un soir, je fermerai le coffre de la voiture qui sera plein de la valise mauve et de boites de conserves. J'attacherai les enfants à leurs siège, ils seront harnachés de tous les jouets possibles et imaginables pour tenir la distance.
Je ne sais pas la route.
Je ne sais rien de ce qui nous attends là-bas.
Je commence tout juste à en rêver.
Quand je tournerai la clé de contact pour rejoindre le lycée, ce sera pour rouler encore jusqu'à la nuit. Nous aurons réservé une chambre ou deux dans un hôtel miteux, nous aurons prévu les brosses à dents accessibles en haut des sacs, nous aurons prévu les pyjamas, et les bouteilles d'eau pour la soif.
Nous devrons lever les corps tôt le matin suivant.
Regarder la carte, suivre la route indiquée par ceux qui savent, ou bien non, choisir un itinéraire qui nous semblera plus rapide, ou plus simple. Nous ne savons pas la route.
Une autre nuit dans un hôtel autrement miteux, avec la douche dans le couloir. C'est à ce prix que peuvent se faire les départs. Peu importe le lit, pourvu qu'on ait le somme.
Une autre journée intensément longue, intensément curieuse, où nous ne saurons encore pas la route.
A chaque panneau je nous vois bien prêts à tourner, parce que nous serons attirés.
A chaque maison ocre, à chaque arbre centenaire, à chaque nom de ville familier à l'oreille, je nous sais prêts à hésiter, y aller, ou contourner?
Mais nous avons un horaire, un but, une destination qui ne dépend pas de nous, qui ne se décale pas, qui se lit sur un bout de papier.
Un rendez-vous.
Nice, 16H00.
Calvi, 20H00.
Le bateau sera jaune, je l'ai vu sur les photos.


26.2.12

The day one


L'oeil qui se plisse, la silhouette du voisin dont tu ne distingues que le contour flou, l'oiseau qui te vrille les oreilles, l'herbe qui est plus verte, le verre qui est flou de la trace de tes doigts, la soif qui étreint ta gorge desséchée, les cris des tiens qui courent, ou font des acrobaties sur la balançoire, les chaussures soudain trop serrées, le pantalon trop lourd, le pull de trop.
L'envie de tomates et de basilic, d'une tarte au citron vert, de tremper les pieds dans l'eau salée, ou de s'allonger sur un sable fin.
Boire un coteau du layon glacé dont la buée fragmente la lumière qui se reflète dans tes lunettes noires.
Ne rien faire. Ou si peu.
Il semblerait qu'il soit sur le chemin, ce printemps qui nous fera du bien.
Et au printemps, j'ai des projets...


24.2.12

Repasser

Elle passe par ici et repassera par-là.



Le fil qui plonge sous le roulé du pull tressé. Les écouteurs au bout.
La vapeur de l'eau lavande qui rend l'air un peu plus flou.
Le bruit qu'elle n'entend plus.
Ce qui est déjà fait, devant, droit fil entassé, bleu et bleu et bleu, quatre bleu de taies.
Le jardin dehors qui attend un soleil vain.
Les oiseaux rouges de gorges, bien ronds, sans avoir bu une goutte.
L'arbre dont le feuillage frotte la fenêtre les soirs de tempête est immobile sous le ciel gris.
Les chaises roses ont les vis qui rouillent. Le bois de la terrasse se couvre des plantes qui courent.
Dans sa main, le liège chauffe sa paume.
Dans l'écouteur la musique qui la fait danser.
Qu'il est facile de repasser quand le rythme passe dans le mouvement du bras, dans le coup du pied.
Elle repasse, elle danse, elle chante, elle a fermé les portes pour ne pas déranger la maisonnée qui sieste.
Il ne faut pas mettre sous le fer des habits trop pliés, ni de coutures sophistiquées, des draps suffisent, des taies aussi, point de chichis.
Elle chante le disque Frizzante de Matthieu Boré qu'un ami lui a offert un temps passé, elle hurle Izia qui a des treubeules, elle en apprend les paroles, elle chuchote quand elle ne sait pas. Elle ne met pas de musique africaine, les bras ne suivraient pas, elle serait obligée de bondir entre les meubles, elle se casserait.
Le linge est trop vite repassé cette fois, elle n'a pas eu froid, ne s'est pas ennuyé.
On pourrait lui faire croire qu'elle n'est pas repassée par là, qu'elle a juste dansé.
On pourrait lui faire croire qu'elle aime ça, mais ne va pas croire qu'elle repassera là.



20.2.12

De l'improbable perfection.

Deux instants à se dire.

C'est parti d'un reflet.
Mon image je ne sais plus sur quelle surface, un truc lisse qui brillait, peut-être une route humide et noire trempée de l'eau du ciel, peut-être une vitrine de magasin, ou le fond d'une casserole rutilante.
Peut-être simplement mon reflet dans l'oeil de l'homme.
Je vis deux couleurs, du rose et du vert, je vis, le travers du gilet, le froissement de la veste. Et un pantalon plissé.
Je vis les rides et les valises, je vis le blanc salé des cheveux mal coiffés. Je vis la paupière tombante et la dent récalcitrante, celle qui ne rentre pas dans le rang.
Je vis la voussure d'un dos, les poings cachés, les miettes de moi éparpillées.
Je me suis sentie improbable.
Improbable celle d'avant, qui savait, qui croyait savoir, improbable accoutrement d'un désir oublié de se bien vêtir. Improbable choix de continuer ou d'arrêter. Improbable moment suspendu à ne plus savoir qui on est. Et de ne pas être sûre de vouloir savoir, tant il est vrai que la vérité est multiple.
Improbable chemin que celui de la vie.



Le canapé fait face à la table basse en verre, dont l'arrondi fait comme un nuage infini, un rond imparfait qu'on ne veut pas modifier. A main droite le poêle ronfle après une journée froide, la lumière des flammes éclaire le liquide rouge de mon verre. Les muscles de mon dos se détendent contre le coussin, ma main se réchauffe dans la lueur orange. Les lampes de salon sont douces, elles éclairent les livres, les ouvrages de papier dont je ne ne me lasse pas de repasser la main sur la page.
L'ordinateur est ouvert depuis la première fois en trois jours, il est branché aux baffles noires qui diffusent la voix qui rend l'instant parfait.
Nous ne parlons pas, c'est inutile.


Sur la table de verre, un classeur feuilleté dans la journée, pas ouvert depuis des années, des diapos d'avant.
D'avant les enfants.
Nous calculons... Dix-sept ans.
La musique égrène ses notes, je ne peux m'empêcher de chantonner, comme d'habitude. Depuis le temps où Ella Fitzgerald chantait sur la mini chaine de l'appartement, et où il constatait impuissant que je ne pouvais pas faire autrement que ce bruit de gorge, il a accepté.
Dix-sept ans que nous nous connaissons par coeur, que nous composons notre propre mélodie.
Oubliés les pas chassés, les scrupules au fond des souliers qui font une marche incertaine, douloureuse.
Cet instant là, nous savons ce qui nous a rapproché, ce qui nous uni.
Au fond, nous pouvons parfois nous souvenir que nous avons eu 22 ans, et que 17 ans après, nous savons les retrouver.
Il y a des instants improbables mais parfaits.


Même celui où on reprend contact avec le clavier.

11.2.12

Un autre matin

Le ciel était bleu. Il me semblait. Avant même l'ouverture des yeux.
C'est la lumière sans doute, celle qui filtre à travers la peau, celle qui se glisse sous la persienne des paupières. Avant même l'éveil, tu sais.
Il y a la chaleur de la couette et le nez frais.
La radio sous mon oreille débite des voix que je reconnais sans entendre, la douce musique des mots le matin, les tonalités, les rires, l'indispensable moment avant la levée des corps.
Les portes s'ouvrent en catimini, ils savent qu'il ne faut pas faire de bruit, nous avons des Zotes aujourd'hui.
L'ambiance est particulière, calfeutrée.
Le feu dans le poêle a chauffé le matin frais.
Le parfum du pain de la nuit flotte encore dans l'air.
La luminosité est celle de l'hiver, or et douceur.
Dehors, il paraît que qu'il est négatif de penser à la moindre chaleur. D'au moins quatre degrés.
La voiture décide de rester silencieuse, elle ne veut pas troubler le silence, même les oiseaux sont partis, au chaud, blottis.
C'est décidé, il fera beau, il fera froid, nous aimons ça.

8.2.12

Et la photo dans tout ça?

Il est peut-être venu à vos oreilles, vu la portée mondiale de l'événement, que dans ma commune ce tantôt incessamment, que ça se rapproche même un peu vite, au regard de tout ce que je dois faire AVANT, ce tantôt les 31mars et 1er avril, une exposition de tous les talents connus et cachés des locoalo-mendonnais.
Ça s'appelle, comme l'an dernier "Le printemps des artistes" et ça a lieu le même week-end que celui des métiers d'art.
Comme j'ai même pas peur, je me suis inscrite catégorie photos, puisque j'ai un APN qui déclenche souvent.
Là, je me suis mise à regarder ce que je pourrais présenter, je m'effraie de calculer un budget que je n'ai pas pour mettre sur papier le numérique, je cherche des solutions qui permettent d'accrocher des cadres aux grilles, le tout gratuitement...tu vois.
Des fois, je me dis que je vais apporter l'ordinateur et laisser défiler, mais c'est nul, très très nul.
Bref.
En attendant, je fais joujou trucages.
Je te montre. Ça ne fera rire que moi, mais quand même c'est ouf tout ce qui peut se faire avec un logiciel...



Tout de même, j'ai une relation ambivalente avec les trucages.
Parce que j'ai été déçue un jour, de savoir que tous les Doisneau et Cartier-Bresson etc "trafiquaient" aussi leurs photos : les gens, les poses, et ensuite le travail au développement, des ombres impossibles, des lumières exagérées, rien de vraiment vrai, mais au fond, la réalité du photographe, ou sa façon de voir avant tout.
Je me réconcilie avec ces techniques, parce que mine de rien ça demande un vrai travail.
Et oui, c'est un regard personnel qui se pose sur la pellicule, comme la création d'un tableau.
Enfin... toutes proportions gardées.
Faire une photo comme écrire un texte, y mettre de soi, échanger un discours une idée avec le spectateur.
Il reste ce qui ne peut pas changer, le cadrage, la composition, l'équilibre.
Il reste que chacun interprète la photo comme il veut.
Je crois qu'une photo réussie est aussi une photo qui ne laisse pas indifférent.
Qui pose question, qui interpelle.
Et toi, tu penses quoi de tout ça? truquer ou non, rendre la réalité telle qu'elle est ou comme tu la vois ou comme tu voudrais qu'elle soit?





7.2.12

De tout...

Il parait qu'il neige.
Moi, perso, j'y crois pas. D'abord parce qu'il fait bleu bleu, même si hier une rechute du gris, et puis soit il fait trop chaud soit il fait trop froid.
 En plus, ils z'ont pas cessé de dire "l'ouest". L'ouest par-ci, l'ouest par-là, plein de neige, tout blanc, tout froid. Ya quoi de plus à l'ouest que le Bretagne, hein? ben la Bretagne était bleue quand la France était blanche comme une orange. Après on dit que les bretons y sont spéciaux. Ben forcément si le gars de la météo y voit pas qu'à l'ouest de l'ouest, y a encore de la France, un bout, mais le seul qu'on dit à l'ouest en général, parce que chacun sait qu'à l'ouest fait jamais beau.
A L'OUEST IL NE NEIGE PAS. (snif).
Là, je serais cap d'aller prendre un kawa sur la terrasse tellement le bleu, tu vois.
Puis ça fait bien quatre jours qu'on ne fait qu'un tout petit feu, juste pour l'ambiance, parce qu'en vrai, le pull et le soleil dans la baie vitrée, suffisent à réchauffer.
En gros, c'est pas cheu nous que faut chercher les dépenses énergétiques, vu qu'on a aucun radiateur dans la maison. Enfin, je mens, on en a un. Dans la chambre d'hôtes pour pas qu'ils aient peur genre "aaah, mais y a pas de chauffage".
Déjà qu'y a pas de volets....

Bref, dimanche, j'étais dans la campagne avec la famille que c'est bien. Ma soeur m'a dit comment fallait que je pose le bonnet façon "faut voir tes cheveux" parce que tu vois le court, ben sous le bonnet ça disappear.
Avec ma soeur on a quasi pas vécu ensemble, question d'âge puisque c'était mon cadeau de mes dix ans.
Alors quand je suis partie de la maison à 18 ans, ben elle n'en avait que 8, on parle pas de grand chose d'autre que d'éclairs au chocolat à c't'âge.
N'empêche que c'est bien une des rares personnes avec qui je peux m'engueuler si je veux (mais on le fait pas) et avec qui je serais sûre de me réconcilier.
Et puis surtout, quand je vais chez les parents et que y a la fratrie, on retrouve les mêmes blagues, le même humour, on a même pas besoin de dire en entier qu'on sait ce qui va suivre, et puis surtout, y a les parents, cible favorite de nos petites piques gentilles, des fois.
Si je parle d'un pot de yaourt et de placards, on sait.
Si je parle de la cave, on sait.
Ça te dit rien à toi, mais crois-moi, c'est récurrent, pardon papa ah ah ah.
Je sais pas pourquoi je parle de ça là.
Peut-être parce que c'est bien qu'on se retrouve tous en Bretagne les frangin/gine.
Et puis les enfants s'entendent bien avec le cousin.
Faut le dire quand c'est bien.
Non?
Ah oui, si t'as pas de neige, tu veux peut-être la recette de la tarte...
PS : sinon, c'est très drôle, mais y a un tas de gensses qui vont écrire ou qui voudraient à France Inter pour faire partie du jury...
Je ne vais plus compter ceussent qui tapent "comment faire partie du jury du livre inter" ou bien "lettre de motivation livre inter" etc... JE VOUS VOIS! plus d'une dizaine par jour...

4.2.12

De l'autre côté.

En 95 ans de vie, on doit rencontrer du monde. Qui reste encore à venir à ton enterrement, peux-tu te demander, tant doivent être nombreux ceux qui partent avant toi.
Je suis allée à un enterrement.
Une dame que je connaissais peu, qui m'avait raconté des bribes de vie, qui m'avait ouvert sa porte, raconté le temps d'avant. Que j'avais prise d'affection, puisque j'aime les vieux, comme tu sais.
J'ai sa voix quelque part sur mon disque dur, j'ai son rire dans mon oreille.
Aujourd'hui j'ai appris qu'elle aimait les fleurs, les roses.
Je suis allée à un enterrement.
Le dernier c'était celui de Mémé, en 2001.
J'avais ma première fille qui avait un mois.
C'était dans une église moderne, spacieuse comme savent l'être les églises d'après guerre dans les villes d'après-guerre.
Aujourd'hui, c'était une vieille église mais pas si vieille que ça, enfin, j'ai connu plus vieux.
J'ai tenu bon.
Je la connaissais à peine, Philo.
Ce sont tous mes vieux qui sont remontés à la surface. Cérémonie oecuménique de tous mes vieux que j'ai aimé. Ils se sont tous bousculés au portillon de mon  petit coeur, c'est à eux que j'ai pensé.
Je ne suis pas habituée aux enterrements, un tous les dix ans c'est gérable encore.
Alors forcément, c'est précis les souvenirs.
J'ai poussé jusqu'au cimetière mais je ne me suis pas résolue à aller sur son cercueil. Elle n'en a pas besoin, mes amis, ses petits-enfants non plus, à quoi bon, ceux qui partent voient plus loin que la simple apparence de ce qu'on leur présente, et mes amis savent aussi qu'on pense à eux.
Fallait que je rentre à la maison après.
J'ai hésité, parce que vois-tu, j'avais tous ces enterrements qui coulaient de moi comme un fleuve salé.
J'ai roulé lentement, comme une marche funèbre, le temps que le noeud se défasse, que l'inspiration soit assez profonde pour ne pas sursauter et rechuter.
Fallait que j'écrive.
Fallait que je pose.
On dit "mettre en terre"mais c'est du sable qui entoure la dalle. C'est du terrassement la gestion d'un cimetière.
On dit pleurer les morts, mas on doit faire le courageux.
Moi, je ne sais pas bien faire, alors je me suis sauvée sans aller voir mes amis, sans aller au café après, juste pour rentrer, et dire que oui, c'est vrai j'aime pas les enterrements.
Mais j'ai pensé à eux, et même s'ils sont partis depuis longtemps, ils me manquent encore, constate-je.
J'ai enterré mes morts une deuxième fois.