Le matin elle se lève dans le froid de la maison en pierres. Elle se débarbouille avec l'eau du broc, posé sur une table dans la salle commune. Le jour n'est pas encore levé quand elle passe ses galoches inconfortables et qu'elle sort dans la brume qui s'élève du sol. Parfois le paysage l'enchante, le soleil rasant qui dépasse peu à peu des bois de chênes, des haies de noisetiers, alors que la route en terre est dure sous ses pas. Elle a 7 ans et doit faire ses trois kilomètres quotidiens pour aller à l'école. Au bourg, elle retrouve ses camarades et sa maîtresse, elle n'oublie pas qu'en sa présence elle ne doit pas prononcer un mot de breton. Sinon, un coup de règle sur le bout des doigts, elle s'en souviendrait.
A l'heure de midi, elles se retrouvent toutes pour aller manger au couvent. La nourriture n'est pas bonne et il n'y a presque rien dans la gamelle. Elle se sert du pain pour rendre plus facile le passage du reste du plat.
Dans la cour, les filles et elle chuchotent. Elles se racontent des secrets en breton, en jetant un oeil attentif sur la porte de la classe au cas où la maîtresse sortirait et les surprendrait en plein délit.
Un jour, elle a été malade. Elle n'a pas pu se lever de son lit, elle y a passé la journée. Il n'y avait pas de docteur, elle attendait que ça passe, comme tout. Elle échapperait aux devoirs ces soirs-là, mais il lui faudrait les rattraper plus tard. C'est qu'on ne s'amusait pas volontairement en ce temps-là.
Même si Philo aime plus que tout mettre en boite.
C'est ce que je constate cet après-midi-là alors qu'elle me raconte volontiers ce qu'était sa vie dans le temps.
En la réécoutant (faut que je me trouve un truc avec une autonomie de bande de plus de 40 mn) je m'aperçois qu'il reste pas mal de questions en suspend. Ce sera l'occasion de retourner la voir, elle m'a dit de le faire quand je veux.
Je veux lui poser la question de sa rencontre avec son homme, celui avec qui elle vit depuis....plus de soixante dix ans? Son homme que je n'ai pas vu cette fois, il farfouillait dans son atelier, il a son caractère et des fois il préfère ne pas causer, du haut de ses 100 ans.
Je veux savoir si elle avait de rêves... Me le dira t-elle?
Je voudrais connaître son avis sur la vie des femmes avant, pendant et après la guerre.
Je voudrais comprendre son quotidien, sa résistance.
Elle a eu mention bien à son certificat d'études, elle continue de lire, tous les jours un gros livre est posé sur ses genoux, alors qu'elle est assise dans son fauteuil de longues heures depuis qu'elle s'est cassé le col du fémur.
Elle ne se plains jamais. Elle le dit : "on ne se plaignait pas". Et c'est encore le cas.
Son amie qui passe la voir me dit "la Philo, tout le monde la connaissait, c'est pire que Sarko" Eclats de rires.
J'ai aimé faire ça, lui poser des questions, me perdre dans ses réponses, comprendre une fois et puis finalement me rendre compte que c'était plus tard ou plus tôt. Philomène mélange un peu et moi aussi, c'est pas dans l'ordre, mais c'est passionnant.
Je vais raconter l'école et les commerces. Cette fois. Et puis peut-être qu'une autre fois, elle me dira la vie tout court, celle de tous les jours.
Et elle aimera raconter....
RépondreSupprimerj'ai souvent constaté que les vieilles personnes, du moins celles que j'ai rencontrées, aiment parler de leur vie à de plus jeunes qu'elles. Il y a toujours un mystère à découvrir, il faut deviner comment elles étaient, comment "c'était" et avec un peu de chance, elles nous permettent de comprendre, un peu...et d'appréhender bien plus de choses qu'avant, d'aimer un peu plus notre vie d'aujourd'hui peut-être, de les respecter en core plus, peut-être. en tous cas, c'est chaleureux, et ça n'a pas de prix.
Ohhh ... j'en connais un qui va être tout ému de lire un peu de sa mémé sur internet...
RépondreSupprimerEt nous, que nous restera-t-il à raconter, alors que nous aurons déjà tout écrit sur les blogs ?
RépondreSupprimerJe blague ! :o)
Pour moi, surtout quand j'étais jeune, mes rencontres avec des anciens, aujourd'hui disparus, ça d'abord été l'évocation d'une histoire, la leur, mise en perspective avec l'Histoire tout court. C'est ensuite quelque chose qu'on porte en soit et qui nous enrichit en effet. Puis, dans une certaine mesure on le transmet à notre tour à travers l'évocation de notre histoire personnelle.
La lecture de ton très joli texte m'a de suite fait penser à la chanson de Goldman "Il y a " http://youtu.be/SHBM-3Tzd2g
RépondreSupprimerEt je pense à ma mère qui va faire bientôt ces quatre-dix ans, mariée depuis plus de 65 ans avec mon père...
Elle qui me dit parfois dans la confidence, avec un petit sourire : "Tu sais, ton père, parfois il est un peu fatigant".