30.5.11

Les maisons pas comme les autres.




Les maisons courant d’air, les maisons moulins, les maisons vides, les maisons tristes.
Et puis les maisons fenêtres, les maisons murs, les maisons portes.
On peut aussi trouver des maisons de guingois, des maisons hautes et des maisons basses.
Et encore les maisons souvenirs.
Il y a ta maison, celle de tes parents, et pourquoi pas des grands-parents.
Tu traverses beaucoup de maisons dans ta vie.
Tu y passes, tu y dors, tu en oublies, parfois tu tentes aussi de les retenir.
Chaque lieu est marqué d’une maison.
Celle de ces vacances avec des amis quand tu étais gamine. Celle de ta grand-mère dont les pierres feront partie de celle de tes parents. Celle d’une autre grand-mère devant laquelle tu passes, mais qui ne t’appartient plus, alors que tu y a tes marques. De toute façon ce serait trop difficile d’y retrouver l’âme de tes rires, de tes Noëls, des bruits de tes pas sur les marches de bois.
Ta maison. Celle dont tu connais chaque étape de montage, comme un jeu de construction participatif dont tu connais toutes les arcanes. Les maisons qui se trouvent de nouveaux habitants, là-bas, loin dans les montagnes. Maison que tu vois en pièces détachées, dont tu devines le futur bonheur.
Les maisons de tes amis.
Il y en a une que tu commences à connaître comme ta poche.
C’est une maison lumineuse, où tout le monde circule librement. Tout est à porté, rien n’est caché. Les portes des armoires peuvent toutes être ouvertes, si tu voulais tu saurais chaque secret. Mais tu ne le feras jamais, parce que le respect, et puis comme une confiance infinie. Tu y laisserais tes enfants. D’ailleurs, où sont-ils ? En train de piller la boîte aux crayons ? Dessiner sur un livre, le goûter au point de le mâcher ? Ou bien, sont-ils au jardin à taper dans la balle ?
Toi, tu es bien.
Tu sais où sont les verres et les couverts, tu finiras par ne pas oublier que la porte du lave-vaisselle dégringole comme une pierre plate qui oublie son parachute, tu sais trouver les serviettes de bain pour la douche des petits, à force, tu ne demanderas plus. Enfin, si peut-être, le mode d’emploi du garage où finalement tout est. Si tu ne trouves pas, c’est là-bas, c’est sûr, comme un grenier aux trésors enfouis. Parce que l’essentiel est au bout de ta main, devant toi.
C’est comme un ballet.
Tu entres dans le salon par la baie vitrée, tu prends les assiettes dans le placard, tu croises l’ami qui en sort avec les verres, tu passes dans la cuisine où un autre ami épluche, tu ressors par la porte de ladite cuisine et tu te retrouves face au barbecue fumant, tenu par ton homme, enfin tu poses tes plats sur la table des enfants, sous le parasol. Il fait beau.


La porte de la salle de jeu ouverte sur la terrasse laisse passer le son du dessin animé alors que tu verses le Pineau-des-Charentes, fraîchement revenu des vacances dont tu viens de voir quelques photos sur l’appareil qui était tien, avant.  Tu es contente, parce que les photos sont belles, tout fonctionne.
Soudain, tu réalises que tous les acteurs de la danse dans la maison aux mille portes, où tout est ouvert à l’amitié, tous tes amis et les tiens sont là, à porté de main, de voix, de regards.
Il y a le soleil qui chauffe ton dos.
Même s’il grêlait, tu n’aurais pas froid. 
C'est l'instant.



27.5.11

Lire ou écrire? Juste se nourrir... (de la tête aux pieds, ah ah ah)

Depuis que j’ai lancé cette question rhétorique dans le dernier billet : Lire est aussi important qu’écrire, n'est-ce pas?  La question continue de me trotter en tête.
J’avoue avoir été surprise de la réponse de Jack, qui dit que non, rien de plus important qu’écrire.
Et, tournait dans ma tête cette question : pourrais-je me passer de lire?

Quand j’étais petite, à l’école, on remplissait des fiches, profession des parents, etc… Et toujours la question : Activités  pratiquées.
J’aurais pu dire Karaté, ou bien musique, ou course à pieds. J’aurais pu dire n’importe quoi, ils ne vérifient pas, mais je marquais simplement : lecture.
Ça paraissait bête aux yeux des autres. Je cachais ma fiche derrière ma main, j’avais peur qu’on me prenne pour une andouille, une inadaptée sociale.
Et pourquoi pas ? me dis-je à présent.
Nos déménagements successifs ne m’ont pas aidée à m’intégrer facilement où que j’aille, j’ai toujours été un peu sauvage. Et pourtant je n’étais jamais seule.
Un jour, en CM2, j’ai pris un livre dans la classe de M. Blanc, « Le Lion » de Kessel.
Avant, je lisais déjà toutes les bibliothèques vertes, les « Alice », avec sa décapotable bleue,  « Langelot » l’agent secret, et des tas d’autres, parlant d’aventures, d’enquêtes, tout ce qui me tenait en haleine.
Mais « Le lion » est mon premier vrai roman, je crois. Je me souviens m’être sentie aussi triste que l’héroïne, rêvant d’avoir un lion comme animal de compagnie. C’est la première fois que je prenais la liberté de m’exclure des autres, que j’ai lu pendant la récré. Il ne pouvait plus rien m’arriver. J’étais dans le livre, dans les mots, la sonnerie qui me faisait retourner en cours me sortait du monde que je découvrais sur mes genoux, entre mes doigts des pages de trésors, de découvertes.
Les trois années passées au collège et j’ai lu tous les bouquins du CDI. Peut-être qu’il n’était pas si grand, mais je sais qu’à la fin je n’y trouvais plus mon compte.
A la maison, quand nous sommes revenus de l’île aux Paille-en-queues, nous allions le samedi le plus souvent, à la librairie. Et nous revenions les bras chargés, à nous battre pour avoir qui lirait tel livre le premier, on donnait des tours. Nous continuons encore, à nous faire des échanges de livres. Pas Un livre, non, des sacs de livres. Ce qui reste mystérieux à mon homme, cette frénésie d’échange, des livres de ma sœur en série, de mes parents idem, et les trous de ma bibliothèque quand tous les Connelly disparaissent d’un coup pour la maison parentale. Parce que nous lisons aveuglément, si j’ose dire. Nous sommes des livrophage, on dévore.
Parfois, je voudrais lire moins vite. Parce que finir un livre, c’est comme perdre quelque chose avant de le gagner. C’est le deuil et la rupture. C’est l’absence et le manque. Alors, il m’arrive de choisir un livre à son poids. Plus c’est lourd, mieux c’est. Pendant longtemps je détestais les « nouvelles ». Trop court. Pas le temps d’entrer dans la maison qu’on en sort déjà. J’ai toujours du mal avec ce genre littéraire d’ailleurs.
Alors oui, je confirme, lire est aussi important qu’écrire. C’est indispensable.
C’est comme si on se mettait à table à plusieurs. Les plats sont apportés, posés devant nous, nous admirons d’abord, ce qui pourrait être notre oeuvre, tiens, c’est moi qui ai fait le gâteau, et puis nous portons à nos lèvres la nourriture ainsi offerte. C’est bon. Souvent, on identifie le plat et le goût est conforme à notre attente. Les plats sont nombreux, on ne s’empêche pas de grappiller dans l’assiette du voisin, pour voir si c’est bon aussi. Là, on est surpris. On se demande quel est l’ingrédient qui fait la différence. Le petit truc. On cherchera à la maison, peut-être, à retrouver ce goût si particulier qui nous a enchanté. On n’y parviendra pas. Le goût appartient au cuisinier.
A d’autres moments le plat  est si fort en saveurs, qu’on ne peut plus rien avaler après. Notre palais est bouleversé. Transformé dans ses habitudes. Il a besoin d’être éduqué pour comprendre. Il n’y a pas un, mais mille ingrédients secrets. On n’oubliera jamais ce mets-là.
A la fin du banquet, on est repu.  On a appris beaucoup, découvert autant, il faut digérer à présent. Décanter. Laisser poser.
Il en va ainsi des livres. Une nourriture, des plats, des saveurs, des titillements, des étonnements. Impossible de cesser de m’en nourrir. Impossible de ne pas admirer, m’enthousiasmer, adorer.
Tanakia met un lien dans son commentaire...Très bon article de P. Assouline, à lire . Les librairies canapés...comme Dialogues! 

J’étais lectrice avant d’écrire. Les deux sont indispensables et indissociables.



25.5.11

Un soir...

Le soir, souvent, on essaye de regarder un film. On en a plein des films. Des déjà vus, des pas encore vus, des anonymes enregistrés sur une soirée trop tardive, ou bien parce qu’on a égaré le crayon, et ceux qu’on rapporte d’ailleurs. On aime.
On espère que les enfants dorment.
On espère que la pluie ne crépitera pas trop fort sur les fenêtres.
On espère que le film sera bien. On s’interroge.
Puis y a des soirs où on choisi la facilité. Une série de ci de là.  Avec la coupure pub idoine pour que j’aille façonner le pain et une deuxième pour que j’aille enfourner.
Un vrai film, c’est dur d’interrompre, de mettre sur pause, le temps d’avoir les mains pleines de farine.
Alors parfois, on sait que le matin, ce sera crêpes.
On s’assoit. On regarde un film anonyme, et on voit le titre s’afficher. On se demande. Et puis on reconnaît le nom de tel ou tel acteur. On se dit chouette. J’aime bien Tommy Lee Jones par exemple. J’ai confiance. Clint Eastwood aussi, bien sûr. Des films où l’humain mène la trame.
Ce soir, on fait exception.
D’abord, il n’y a pas de pain à faire, et puis on n’est pas tombés tout de suite sur un film qui nous parlait.
Dans le ciel, les nuages s’amoncellent, pleuvra t-il demain ? Ce ne serait pas un mal, il fait si sec. Ils le disent bien à la météo, que ce soit à la télé ou à la radio. Cette météo si mal fagotée que ça devient un sujet de plaisanterie entre nous. A la radio, on ne sait pas comment est habillée la voix. On devine les images, on réapprend sa géographie. On se situe à l’ouest, ce bout de monde à part, si souvent caché par une paire de seins.
Avant, j’écoutais parfois la météo marine. Du temps de Marie Pierre Planchon. Qui n’est plus à la météo je crois. J’aimais ça, comme une chanson. Je ne comprenais pas tout. Fox time et dogger, je ne sais toujours pas ce que ça veut dire, mes leçons sont restées au fronts chauds et froids, je comprends le vent de terre et les beauforts, mais les nœuds m’emmêlent.
Ce soir, donc, pas de film.
Il se trouve que je suis accrochée à un livre depuis hier soir, il ne me lâche plus, je l’ai même pris à la plage, écoutant le son des vagues et des mouettes, la voix de celui que j’aime et des enfants d’un air distrait, entre deux pages où des grains de sable coulaient parfois. C’est que les petits pieds enfantins balaient vite et loin.
C’était l’autre jour dans la librairie folle, celle qui pousse aux folies plutôt, au fait les canapés n’y sont plus bleus mais jaunes et je n’ai pas vu de table Le Corbusier, l’autre jour quand je me suis ruinée à acheter 5 livres.
Oui, j’ai choisi presque au hasard, la couverture, le titre, ou le bref résumé. Aucun ouï-dire ne m’a guidée.  J’ai fait au hasard, comme j’aimerais faire à chaque fois, avec le luxe de ne pas regarder le prix, juste me contenter de l’apparence et de quelques mots.
Là, je lis « si vous recevez cette lettre » de Sarah Blake. Paraît que c’est un best-seller.
Je l’ai commencé hier soir, j’en suis à la page 236 et ce soir je ne regarderai pas de film.
Non, le film est dans les mots que je lis. C’est en 1940. Entre Londres et l’Amérique. Et tous les pays traversés des hordes de « réfugiés » qui ne sont à l’abri de rien, à la merci de la peur et de la mort qui les attends, mais ils ne savent pas encore. C’est une journaliste de radio en quête de vérité, une receveuse des postes amoureuse et consciencieuse et la femme d’un médecin. 
La journaliste me plaît beaucoup. La postière aussi.  Je plains la femme du médecin. Je ne la connais pas encore, je ne sais rien de son passé, ni de celui des autres, mais elles sont tellement ancrées dans la réalité.
Ce soir, je voyage avec Frankie Bard, qui enregistre sur son magnétophone de 15 kg qu'elle trimballe d'un train à l'autre, des voix humaines qu’elle croise dans le train en Europe, le train qu’elle prend pendant ses deux semaines de visa, elle n’a pas de destination autre que celle de faire parler les gens sur le temps de 90 mn dont elle dispose sur ses bandes, des voix dont elle voit la mort en direct, ou dont elle ose à peine se demander le destin. Elle n’a plus que quatre jours de visa à l’heure où j’en suis. La page plutôt.
Lire est aussi important que d’écrire n’est-ce pas ?


21.5.11

Ambiance (l'après-midi)

Ambiance (le premier est sur tumblr, oui, je sais que je ne simplifie pas les choses).


Ainsi donc, j'ai un peu la chair de poule au contact de l'air frais qui entre dans l'ombre du salon.
Je parle beaucoup de poils décidément dans ces ambiances, se peut-il que mon premier contact avec la vie soit révélé par ma réaction pilositaire? poilesque? comment dit-on?
Bref, je frissonne alors que dehors le soleil cogne.
Le chat de la maisonnée appelle de son gloussement de gorge ses chatons, que nous tentons de laisser dehors, sur ou sous la terrasse, à eux de voir, le temps de leur apprentissage de la propreté. Mes chatons à moi étant encore au stade éducatif de celle-ci depuis 9 ans. (Quant à la mienne, elle est restée au stade larvaire, avec parfois un sursaut lorsque du monde vient à passer, et avec mon activité c'est tous les jours, imaginez mon désarroi).
La baie vitrée est grande ouverte, ce serait dommage en effet de ne pas profiter de ce printemps torride, un samedi après-midi quiet, alors que ce soir, nous n'avons personne de prévu.
Sur le fil à linge néanmoins, sèche une couette à plumes, et de grandes serviettes de bain bleues. C'est fête pour le linge, il sera rêche comme j'aime, parfumé de pollens, comme j'aime moins, et écolo, comme j'adore.
Parler du linge, je te jure, en voilà un sujet intéressant.
Non, imagine plutôt que non loin de ce vol au vent d'un drap qui claque, un hamac brésilien de belle facture et de bons amis, s'accroche aux eucalyptus quinquennaux, comme si on avait planifié ce hamac un jour, et que deux pieds en dépassent. Ceux de grande fille. A l'opposé des pieds, un coin de livre, une bande dessinée semble t-il.
Quelles aventures lit-elle? Celles d'un chevalier Ardent qui me faisaient rêver petite? ou bien Blutch et Chesterfield? Entend-elle l'oiseau lancer sa trille? Rien n'est moins sûr, car deux maisons plus loin, un voisin s'entraîne.
A vrai dire, notre maison est entourée de Bruits du Samedi. 
Le plus courant est celui d'une tondeuse, mais vu la taille des jardin ici, il arrive que ce soit de ces petits tracteurs, que les enfants prennent pour apprendre à conduire.
C'est qu'à la campagne, on sait bien qu'on ne tond pas le dimanche. Enfin, on essaye. Les autres jours, on travaille. Alors les samedis bruissent de moteurs en tout genre.
Et l'odeur s'élève, prégnante, celle de l'herbe fraîchement coupée. 
Moi, je ne tond pas, notre engin est lourd, notre jardin est tout sauf en angles droits, et lignes régulières, loin des pelouses de Wimbledon, il faut onduler, bifurquer, virer à droite comme à gauche, et vraiment, j'y passerais de trop longues heures pour ne pas finir par tout raser, de lassitude. Je l'ai fait avec l'ancienne tondeuse pourtant (pas raser, mais la passer), un petit machin tout léger, et ce jour-là, je portais ma dernière fille sur le dos. Elle n'avait pas un an, et l'écharpe était en sac à dos. J'ai senti rapidement la tête enfantine dodeliner et finalement se poser avec un petit poc, sur le haut de mon dos, entre mes deux omoplates. Elle a dormi comme une bienheureuse, et je ne pouvais cesser le bruit de la tondeuse de peur de la réveiller. N'est on pas prêt à tous les sacrifices pour que l'enfant dorme?
L'autre bruit qu'on entend, concurrence celui de la grosse tondeuse du voisin de gauche.
Ici, c'est la Bretagne. Qui dit Bretagne dit identité. Si vous en savez un tant soit peu sur la culture bretonne, vous savez aussi qu'il est impossible de passer à côté de la culture musicale. Et dans ce pays-ci, tout particulièrement, des pointures. En fait, si tu veux faire du piano ou de la flûte traversière, passe ton chemin, tu ne trouveras point.
A vrai dire, au bout de ma route, celui qui a écrit ceci, vit :


"Les pommiers fleuris du printemps
Et la grêle de temps en temps
Sur les talus la blanche épine
La tige fine qui s'incline
Les ajoncs de La Roche-Bernard
Beauté prise dans un regard


Par chance et aussi par vouloir
Je dors en Bretagne ce soir


L'abeille sur le liseron blanc
Et en surface d'océan
L'évanouissement des vagues
L'ombre d'un chemin qui zigzague
La graine des genêts craquant
En plein midi au bord des champs


Par chance et aussi par vouloir
Je dors en Bretagne ce soir


Les bruines de l'arrière-saison
Voilant des ports sans horizon
Une sirène qui résonne
Portant mélancolie d'automne
Le galop fou du vent salé
Sur l'infini des monts d'Arrée


Par chance et aussi par vouloir
Je dors en Bretagne ce soir


L'onglet du pecheur étripant
Le poisson sur le pont glissant
L'alignement mégalithique
Que fait reluire la pluie oblique
Et un peu de neige parfois
Qui blanchit l'ardoise des toits


Par chance et aussi par vouloir
Je dors en Bretagne ce soir


Dans la beauté"


Alors, tu devines bien ce que l'air entraîne jusqu'aux demeures les plus sombres et les plus lointaines, les plus lumineuses et les plus proches?
Un air de biniou sinon rien.
J'aime la volatilité de cette musique aérienne d'un samedi de mai. Elle arrive et s'échappe, frivole et joueuse, comme un papillon qui se pose et s'envole, loin.
Et dans tout ce bruit, ce vacarme, règne une harmonie. 
J'ai oublié pourtant, le son de mon carillon. Un petit, trop petit, le son est encore un peu aigu pour me satisfaire, en bambou, des tronçons affûtés de 6 ou 7 tailles en ordre décroissant, qui s'amusent à titiller la boule de bois qui sème le trouble au milieu d'eux.
Voilà que je réalise que je ne sais pas photographier les sons. 
Tiens, les petits pas sur le plancher m'annoncent le réveil de la poulette. Celle qui s'endormait sur mon dos. Comme je le devine, c'est le silence de la tondeuse enfin rentrée et celui de mon joueur de biniou, sans doute fatigué, qui ont ouvert les yeux de la belle endormie. 

Mes mots se taisent, à bientôt...


18.5.11

D'écrire...et de Raison.(en 10mn chrono, hélas).

Il est l'heure d'un milieu d'après-midi. L'eau passe dans le tube qui la fait tomber chaude en gouttes sur la mouture de café. Elle le dit haut et fort. Le parfum se promène dans la pièce, comme une invitation à la paresse. Il est vrai que c'est l'heure de la sieste, après un moment passé à la plage, dans le vent tiède, grattant le sable à la recherche des coques et autres palourdes. La pêche est suffisante pour que l'envie nous prenne de pâtes fraîches, que le couteau taillera en linguine, y mettrai-je du vert basilic?
Je pourrais avoir envie d'écrire. Ce moment comme d'autres, ou bien même les inventer.
Je pourrais me trouver un pièce où nul autre bruit que celui des oiseaux, où nul autre mouvement que celui de mes mains sur un clavier aimable. Je pourrais imaginer que cette bulle existe.
Comme si j'avais une pièce à moi, mon antre, ma tanière, mon désordre seul, pas celui d'une main enfantine passante, de celles qui passent et déposent fleurs et autres offrandes où que je sois, debout dans la cuisine, assise dans le canapé, ou à espérer être derrière un bureau. Une pièce avec une porte et une fenêtre.
J'exigerais même que seuls les meubles que j'aime, un bureau unique, le mien, des tiroirs remplis de mes envies, et des étagère, ou tiens, pourquoi pas une bibliothèque, pleine des livres que je ne relirai pas, mais dont le souvenir m'emplit d'aise.
Imaginons tout cela.
Aurais-je encore la possibilité de m'y assoir. Me poser sur cette chaise que je vois presque comme un fauteuil tant il me faut de la place, celle de l'épanouissement d'une idée, entre deux lettres flottantes sur mon clavier, au bout des pulpes de doigts encore hésitantes. Ou bien véloce. Comme à présent que l'on me cause à droite comme à gauche, qu'un son unique de ma bouche suffit à faire taire, avant la prochaine offensive, vite, écrit, avant de perdre la raison.
Il est des moments entre deux, entre la plage et la sieste, qu'un soudain élan me pousse à dire et décrire, qu'écrire demande du temps, de la tranquillité d'esprit, de la place pour réfléchir, comme de l'espace temps, celui qui n'est pas élastique.
et me voilà alors, encore, contrainte de cesser là cet exercice qui me nourrit et m'apaise, ne me satisafit jamais et m'affame, comme un début et encore un début, sans que jamais la suite ne s'écrive, coupée déraisonnablement par un quotidien phage, tout est -phage, chrono et autre, je ne finirai donc jamais rien?
...et sans relire en plus pardon des fautes.

16.5.11

Se Ressourcer.

J'étais contente, très contente, d'aller à Brasparts ce dimanche.
Tu sais ce qu'est Brasparts, à part le centre du monde?
C'est le centre Finistère, l'endroit qui, dit-on, "est impossible à aplanir, même à Dieu".
C'est le lieu des souvenirs de vacances. L'endroit qui en 30 ans a gardé le même paysage. J'y ai mes repères. Evidemment, il y a quelques changements notoires parfois, comme une nouvelle pâtisserie, bio, avec des réalisations à tomber, ou à se taper le cul par terre, oui, parfois je dis des gros mots.

Les champs sont les mêmes, ils passent de la couleur marron à vert tendre en une saison. Ils sont ondulés par le massif armoricain et par le souffle du vent sur les épis en herbe. L'horizon peut frisoter comme un brocoli, avec les arbres vieux et variés des vertes forêts.

L'hiver, la boue et l'eau des rivières, l'été, la fraîcheur de l'ombre et le murmure du ruisseau.
Et ses chemins creux. Le chemin creux qui te donne l'illusion de parcourir les entrailles de la terre, tu touches du doigt le vivant et le beau, l'humus, la fougère, la mousse, les ombellifères.

Nous avons rejoint "la fontaine" ce n'est plus un lieu, c'est un prénom commun, quand on dit "la fontaine" c'est forcément celle de Brasparts, en bas du chemin très creux et de la maison. On y a mouillé quelques postérieurs, une pierre plate de lavoir qui glissait comme une patinoire. Elle est toute belle et toute refaite aujourd'hui. On s'y reflète.

Puis nous avons traversé le bois de l'Isle. Là où les ruissellements, les petits ponts, et les arbres vieux se mettent en quatre pour que la lumière y soit encore plus belle. Elle traverse tout ce jour là, de la cime à la feuille verte. Elle éclaire les visages. Elle aveugle les pierres.

Nous sommes allés vers l'endroit où mon père allait chercher de l'eau, petit. Le plus petit d'entre nous, quatre ans, a dit après de longues minutes de marche pour ses petites jambes, quand est-ce qu'on arrive au magasin? (là où son grand-père allait prendre de l'eau...)
Nous avons foulé l'herbe douce et fraîche d'un sous-bois.

Nous avons croisé d'autres marcheurs.
Et puis nous sommes rentrés pour le goûter. Non, je ne vais pas encore la ramener avec la pâtisserie...mais mmmmm.
Sur la route du retour, j'écoutais Ali Farka Touré "In Heart of the Moon". Magnifique. Le ruban de la route se déroulait sans encombre, gris clair. Les enfants dormaient, repus, d'air, de lumière et de vie.

14.5.11

LVQA et son absolu contraire.

Parfois, la vie qu'on aime on l'aime encore plus.
Les soirs ordinaires où les situations dramatiques sont à notre porte et qu'on se trouve plongés dans une triste histoire d'humains, de couples qui se déchirent, avec violence. Et avec enfants.
Ainsi, un geste de trop, des cris, une fuite et un corps qui tombe. Le cri d'un enfant.
Nous avons couru, appelé les pompiers, recueilli l'enfant, adolescente en plein trouble.
J'ai mal dormi. Peu dormi. L'odeur de la mère blessée (sans gravité avons-nous su après)  sur mes mains, puisque je lui ai caressé la tête, les joues en attendant les lumières bleues. Des minutes qui paraissent des heures. La peur. Peur de la douleur. Peur de la mort. Peur de la suite. L'enfant a dormi chez nous. Et puis ce midi, retour à la maison. De l'hôpital. De la fuite.
Et maintenant, j'ai peur. De ce qui peut recommencer.
Ma vie qu'on aime qui est la mienne est si loin de cette vie là. J'ai touché du doigt les drames. Je me sens salie. Inquiète.
Incertaine de ce que je/ nous devons faire.
Je mesure la chance que j'ai de la vie que j'ai.

10.5.11

Commémorer.

Voilà un mot que je ne dis pas souvent. Je ne sais plus le nombre de M en l'écrivant. Autant de aime.
J'avais 9 ans et je ne me souviens de rien. Où étions-nous, que faisions-nous? J'étais Nous avant d'être Je, il ne peux pas en être autrement.
Je regarde les documentaires qui passent, je me souviens de sa voix, les leçons d'histoire.
C'est facile d'imaginer 23 ans de droite au pouvoir, tant les dernières années nous durent comme une plaie nous mange. On a des tiques qui nous dévorent, elles s'accrochent, c'est difficile de ne pas les voir, j'ai peur de la maladie qu'elles transmettent. J'attends l'antidote avec impatience, incrédulité, parce que le pouvoir est ce qu'il est, il corrompt. Vont-ils réussir à s'unir, s'assagir, se battre enfin et nous sortir de là où nous nous sommes mis, oui, nous-même depuis que nous avons le droit de vote, les bêtises sont les nôtres avant tout.
Evidemment nous n'avons pas voté tous le même bord. Pas assez à babord.
Ces documentaires, on a envie que ce soit hier, juste hier, et pas le siècle dernier. Ce ne sera pas demain, parce que rien n'est jamais pareil, la donne a changé, mais saurons-nous mieux faire? Ou au moins aussi bien?
Quand chacun aura cessé de faire le tour de son nombril, alors peut-être en l'espoir nous pourrons croire. D'autres en ont. Pourquoi pas nous?
Alors, oui, je voudrais me souvenir de ce jour-là. Ou bien du jour prochain où une gauche avec les valeurs qu'on lui donne, remette en place la République, que je (nous) cesse, enfin, d'avoir honte.

8.5.11

Faire vivre les pierres.

La descente est rapide, que tu la fasses à pieds, en voiture ou en rollers. Pour les sensations, en voiture c'est le premier jour des vacances qui est le plus efficace. Les retrouvailles. Pour l'excitation, c'est le roller, quel que soit le jour.
Tu descends et ton coeur bat. Très vite, très fort.
La courbe est franche, large. 
Tu aperçois la maison. Pour marquer notre arrivée, un ou deux coups de klaxon. Tu as l'impression que ça fait une éternité que tu n'es pas venue. Tu ouvres la portière, et dans l'encadrement de la porte verte, tu vois le sourire de Mamie et son confortable coeur. A chaque fois, tu cours vers elle. Et tu serres. 
La maison est dans une courbe de virage; il y a une cour, juste devant, avec un poteau blanc, luminescent à son sommet à la lumière des phares, la nuit tombée. Le crépi est vieux usé, un jour pourtant, il a été refait, gris. La maison reprenait des airs nouveaux. Et puis un bout de toiture, une fenêtre de toit. Dessous, tu sais qu'il y a une pièce avec un coin salle de bain. Et une armoire, où elle rangeait encore les affaires de Papi... Le caban bleu marine, que j'ai porté, mes années de Fac.
A l'autre bout de la maison, comme une dépendance dépendante, le côté où vivent parfois mon cousin et sa famille. Dans cette pièce, il y a une cheminée aussi, immense, dans laquelle rentre un banc de bois. On aime s'y assoir, nous les enfants. 
Le jardin est derrière la maison. Plein d'herbes folles. Ça fait bien trop longtemps que Mamie vit seule pour s'occuper de l'entretien de son jardin. C'est là que les toilettes se trouvaient avant mes dix ans. Une cabane, au fond. C'est avant la réfection du crépi et de la toiture. Et du sol. Parce que je n'aimais pas la terre battue. J'imaginais que pouvaient en surgir des serpents, ma phobie. Ils seraient venus de la terre et auraient grimpé le long du pied de la table où nous mangions. 
Dans la cour, une fois par semaine, ou deux peut-être, la camionnette de l'épicier. Des grappes de raisins blonds et des tablettes de chocolat au lait. Elle ne disait jamais non, Mamie, son seul bonheur étant de faire le nôtre. 
Cette maison, était une ancienne auberge. Elle avait gardé les anneaux, où j'imaginais qu'on attachait les chevaux. Elle était en pierres, cette pierre de schiste, plate, large, grise avec des tons jaunes parfois. Ce n'st pas une pierre économique puisqu'on ne la pose pas debout pour faire les murs, non, mais bien à plat.  Des murs larges, épais. 
Un jour, Mamie n'était plus. 
Je la voyais dans mes rêves, même le jour, à dix mille kilomètres de là, qui passait devant mes fenêtres. Sa coiffure si particulière. Son sourire et nos disputes bruyantes qui nous réconciliaient facilement. 
Un jour, sa maison n'était plus.
Les bulldozers sont passés, il fallait diminuer la courbe du virage, le rendre moins dangereux avec un nouveau tracé de route.
Ça ne s'est même pas fait. L'endroit subsiste, nu, recouvert par la végétation à l'abandon, sans plus aucun entretien. 
Son fils, mon père, a récupéré les pierres de la maison.
Ce sont des pierres dont on dit qu'un jour... 
Depuis 1986, un an avant notre retour, les pierres sont dans le jardin de notre minuscule maison de vacances, dans le centre Finistère. Contre un petit mur en parpaing, puis dans un coin du champ. Depuis ce temps, elles sont englouties sous la terre, l'herbe, les bonnes et les mauvaises, on ne les voit presque plus. On les oublie. Presque.
Etaient.
Les pierres étaient.
Comme une idée qui trotte, on n'y croyait plus.
Mais un jour, il y a eu des plans. Des fondations ont été posées. 
Ailleurs, à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau, de l'endroit où vivait Mamie, une maison se construit. Celle de mes parents. 
Comme une idée fixe, utiliser les pierres. 
Les pierres sont. 
N'est-ce pas un peu de la maison de Mamie que je vois là?



7.5.11

La Pluie

On attendait. On nous avait annoncé alerte numéro un, puis numéro deux.
Le ciel se teintait de vert.
Dans la cave, les provisions, l'eau, le seven-up et des boites de conserve.
On continuait de regarder la magnifique couleur de ce ciel, inattendue, surprenante.
La nuit est venue.
Nous sommes bien à l'abri derrière nos murs en béton armé, nos volets marrons lourds et épais, renforcés je ne sais de quoi, je ne sais comment. Ils frottent sur le sol peint en rouge quand tu les fermes.
Nous avons éteint les ventilateurs. Non, les climatiseurs, ces gros cubes qui forment une excroissance à l'extérieur des maisons.
Et la lumière.
Je me suis glissée dans mon grand lit, dans la chambre à gauche au bout du couloir en marbre vert, ce couloir qui contourne le patio où ne hurle plus la dizaine de perruches. Elles se sont tues, attentives elles aussi.
J'attends. Pas une inquiétude pour mes copines de classe, dans leurs cases, je ne me pose pas la question alors. C'est un jeu, une aventure. Je suis à l'abri.
Le petit matin voit un ciel gris. J'ai dormi toute la nuit. Il n'y a pas eu de cyclone, il a décidé de contourner l'île en forme de citron, il nous laisse une belle dépression.
Comme c'est la saison, c'est en janvier, c'est aussi les grandes vacances. Je retrouve Virginie, ma voisine, pour passer du temps ensemble.
Elle habite la même maison que moi, la quatrième, identique en tout point. Je suis comme d'habitude pieds nus. Je marche sur le bitume et j'ai les pieds mouillés. Le temps de revenir avec mon amie et la pluie a repris. Une pluie comme il n'en n'existe pas ici : de l'eau, des gouttes énormes, chaudes, tropicales. Nous restons dehors, jouer sous cette douche céleste, qui noie les ravines, qui dévale les volcans, qui rend les feuilles si vertes, et les fleurs luxuriantes. En quelques minutes, nous avons de l'eau qui nous caresse les chevilles. C'est comme un ruisseau. D'eau tiède. Nous rions.

Il est dix heures passée l'autre soir, ici et maintenant. Je vis dans un pays de pluie. Cette pluie que j'aimais tant, avant. Parce qu'elle était chaude, parce qu'elle était rare.
Depuis, je ne l'attends plus.
Sauf ces jours-ci.
Je vois la terre sèche. Comme en plein été. L'herbe qui gratte, elle manque de douceur, de fraîcheur, sauf après la rosée du petit matin. Je vois les feuilles manquer de vigueur. Ramollir. Elles se recroquevillent pour garder en elles toute l'humidité qu'elles peuvent. Il n'y a plus d'eau depuis des semaines.
Je ne vais pas me plaindre, moi qui n'aime plus la pluie.
Il est dix heures et des poussière, et le tonnerre gronde. Celui qu'on aurait pu appeler le Tonnerre de Brest. Sauf qu'à Brest, il n'a jamais autant tonné. Et pour cause. Le Tonnerre de Brest, c'est le bruit de ses canons. On l'entends parfois, en plein jour, en plein ciel bleu, où aucun arc-en-ciel d'après la pluie n'est possible, puisqu'il n'y a pas besoin de pluie pour les canons. Il donnait l'ouverture des portes de l'arsenal. Ou bien longtemps avant, il signalait une échappée belle de prisonniers.
Le tonnerre gronde, et sous le toit, on n'entend plus que ça. Et le ciel qui s'éclaire comme en plein jour. Et qui tonne. Et qui s'allume. Et qui bouscule. Un véritable bouleversement. On disait, quand j'étais petite, que c'est Dieu qui remue ses patates. Dieu a faim, une fringale qui lui donne l'envie de frites peut-être.
La terre a soif.
Alors, comme si l'éclair avait percé le sac de patates, elles s'écroulent sur le sol sec, en cascades froides et piquantes. Elles éclatent en un bruit sec, en rafale sur les fenêtres. Soudain, il fait frais, et l'air revient nous frissonner la chair de poule.
Le petit matin voit le ciel blanc. Les roses ploient sous le poids de l'eau. Elles aspirent chaque gouttes, comme un nectar qui les rends plus belles, plus brillantes. Il y a du vent, les nuages défilent.
L'eau a rendu la vie à l'air immobile.
Un jour, j'aime la pluie.

6.5.11

L'enfante.

Tu fais un collier de perles. Elles sont partout dans le plateau. Tu t'énerves quand "ça ne rentre pas".

Elle te regarde. Tu es dans ce berceau transparent, paisible avec ton petit nez comme un pois chiche, ta peau mate et ta tignasse ébouriffée noire. Un journaliste quitte la chambre. Tu es le dernier bébé de l'année, célèbre. 
Elle voit un bébé, joli bébé, tout le monde le lui dit, elle est d'accord, puisque tu n'as rien de la pomme ridée, ni de grassouillet. Tu as juste une peau de pêche, une bouche magnifique et des yeux ardoises.


Tu me réclames parfois un câlin, grande fille réservée, qui observe, qui veut faire tout, "donne moi un couteau que j'épluche les pommes, je sais faire", tu es la plus jeune de ta classe, mais tu as appris à te défendre contre les plus fortes que toi.

"Qui es-tu?" se dit-elle. Elle ne te connaît pas, elle ne sais pas si elle t'aime, elle n'est qu'assommée, abasourdie par ta venue, toi qu'elle attendait sans se poser trop de question. Il a fallu 18 heures pour te voir enfin, après moult essais aux noms barbares, elle les savait car elle avait visité la salle de travail pour la préparation, elle avait entendu les mots : cuillères, ventouse et forceps, et puis césarienne aussi, avec le commentaire qui suivait "mais ne vous inquiétez pas, c'est rare". Elle avait eu droit à tout, elle avait demandé "que puis-je faire de plus, de mieux, pour qu'enfin elle naisse". Elle se contentait de respirer, appliquée, pour que son oxygène te parvienne. Alors, dans un brouillard opaque, on t'avait présenté à elle, et tu avais marqué de tes yeux ce lien indéfectible qui l'avait fait pleurer. 


Tu as des yeux si bleus, qu'on doit faire attention au choix des couleurs dans l'achat de tes robes et  T-shirt. Tu chantes des chansons soupes, de celles que tes copines aiment, celles qu'on n'écoute jamais qu'à la radio dans la voiture, et dont on n'achèterait pas le disque. Tu demandes pourquoi on n'aime pas, on te fait écouter autre chose et tu aimes aussi. Tu adores courir sur la plage pour te jeter dans l'eau. Et le chocolat.

Elle te regarde comme une étrangère. Elle ne sait rien de toi. Rien des enfants. Tous les principes qu'elle avait accumulé, s'écroulent comme un château de cartes. Elle te donnera le sein pendant 20 mois, sans doute pour réparer cette douloureuse venue au monde. Elle en apprendra le plaisir, le contentement. Tu oublieras, sans doute. 
Tu l'appelles Maman,

si tu savais le temps qu'il m'a fallu avant de me sentir mère.
Un jour, j'ai su que je t'aimais, sans savoir comment, ni pourquoi, peut-être quand une personne a voulu te caresser la joue et que je me suis sentie agressée et toi salie. Je ne voulais pas qu'on te porte. D'ailleurs, je demande toujours si je peux porter l'enfant qui vient de naître, même s'il a six mois. Et parfois je ne demande pas, je ne touche pas, je me contente de regarder, admirer.
Je ne te prêtais pas. Il a fallu du temps pour ça aussi. Sans doute quand j'ai su que tu n'étais pas à moi.
Et puis quand je pensais à la mort, cette vie si fragile, si forte, cet être si petit, si dépendant, dont j'ai réalisé aussi un jour que je n'arrivais même pas à penser à la perte, tant l'abysse.
Je suis maman, de toi. Maladroite, de toi. Je te vois encore nue et rouge, mouillée de l'intérieur de mon ventre. C'est toi qui m'a appris la tendresse des câlins d'enfants, qui m'a montré les gestes. Je suis encore maladroite avec toi, premier enfant, qui m'apprend tout, tous les jours. Tu essuies les plâtres, contre mon gré. Je le sais. J'espère que tu ne m'en voudras pas, et qu'aucune séquelle ne subsistera d'autre que cette fine ligne pas plus grande qu'un doigt.
Tu as fini ce collier de perles, et tu viens de me l'offrir. Il est plein de couleurs.
Comme toi, ma fille.

4.5.11

Un métier.


On roulait. On roule beaucoup en vacances. Soudain, elle a dit : « je voudrais faire un métier… »
Oui, pensais-je, pleine d’espoir, saurait-elle déjà, du haut de ses neuf ans le métier qu’elle veut faire ? sera t-elle libraire, que je lui choisisse ses livres et les lise avant les autres ? sera t-elle reporter, qu’elle voyage au bout du monde et que sa connaissance des gens soit si infinie qu’elle ne puisse que les comprendre ?
Je me disais, à son âge, je voulais être avocate, journaliste-reporter, c’est surtout le reporter qui comptait, et puis j’ai laissé tomber le « avocate » pour ne garder que le « journaliste-reporter » et puis je n’étais pas assez bonne à l’école, trop flemme, trop sûre de mes capacités aussi sans rien faire pour les développer, et puis pas assez confiante en mes capacités en même temps, il m’a toujours manqué le culot, ou il m’aurait fallu le coup de pied aux fesses, que quelqu’un sache me persuader que j’étais faite pour ça et me donne la recette pour y parvenir….
« Je voudrais faire un métier où… »
Non, pensais-je, serais-je comme tous ces parents à vouloir que leur enfant fasse ce que lui n’est pas parvenu à faire ? reporter sur lui, ses rêves, ses désirs, ses frustrations ? Ne me suis-je pas toujours interdit de penser cela ?
Pourvu qu’elle choisisse un métier qui la rende heureuse, où elle s’épanouisse, où elle puisse avoir au moins un fou rire par jour…
« Je voudrais faire un métier où je gagnerais plein d’argent pour pouvoir t’offrir la maison de tes rêves ».
Nous roulions. Sans doute avait-on passé Quimper déjà. Sa sœur et son frère étaient endormis autour d’elle. La radio ne captait rien, puisque quelques jours avant, j’avais passé la voiture sous les rouleaux, et cette fois, celui du dessus avait réussi à emporter l’antenne et à la casser.
Le silence n’a pourtant pas duré longtemps. Entre le rire incrédule, le serrement de cœur, et la raison, j’ai bafouillé.
Il paraît qu’aujourd’hui tous les enfants veulent gagner plein d’argent. Que c’est ça qui compte le plus. Pas le métier en lui-même, pas le bonheur en famille, pas la réalisation de quelque chose qui leur semblerait important. Non. L’argent. L’exemple de cet argent facilement gagné, des millions en courant après un ballon.
J’ai bafouillé. C’est vrai, les enfants ont toujours, souvent, des questions qui peuvent être anodines, et dont on sent pourtant qu’elles engagent un morceau de leurs valeurs. Ou de celles qu’on voudrait leur transmettre.
Je lui ai dit qu’elle était bien gentille de vouloir me faire un cadeau. Et puis que j’avais déjà la maison de mes rêves, celle où toute ma famille est réunie, avec un jardin et à 5 mn de la mer.
« Oui, mais la maison dans le catalogue ? »
(Une fabuleuse maison, au milieu d’une pièce d’eau, avec des passerelles, des petits ponts pour en sortir et rejoindre un jardin non moins magnifique. Une maison avec du verre partout, des toits terrasse, une maison qui flotte, légère comme une bulle dans un paradis vert.)
Aaah, ma chérie, il faut toujours avoir des rêves, ils permettent d’avancer, d’avoir envie, de se pousser soi-même pour aller plus loin.
Je lui ai dit que le plus important était qu’elle trouve un métier qui lui plaise. Aller travailler 8 heures par jour pour faire quelque chose qu’on n’aime pas, n’est pas le secret du bonheur. Et puis que ceux qui avaient construit cette maison ne devaient même pas en profiter, tant elle avait dû coûter cher, tant ils avaient dû travailler tant et tant qu’ils ne devaient jamais y être. Autant ne pas se faire de mal ni d’illusions, pas vrai ?
Il arrive parois qu’on roule pour partir en vacances quelques jours. Il arrive aussi que les enfants nous fassent réfléchir sur nous-même et sur ce qui compte le plus. L’important. L’essentiel.
Ces enfants qui nous font grandir.