Tu fais un collier de perles. Elles sont partout dans le plateau. Tu t'énerves quand "ça ne rentre pas".
Elle te regarde. Tu es dans ce berceau transparent, paisible avec ton petit nez comme un pois chiche, ta peau mate et ta tignasse ébouriffée noire. Un journaliste quitte la chambre. Tu es le dernier bébé de l'année, célèbre.
Elle voit un bébé, joli bébé, tout le monde le lui dit, elle est d'accord, puisque tu n'as rien de la pomme ridée, ni de grassouillet. Tu as juste une peau de pêche, une bouche magnifique et des yeux ardoises.
Tu me réclames parfois un câlin, grande fille réservée, qui observe, qui veut faire tout, "donne moi un couteau que j'épluche les pommes, je sais faire", tu es la plus jeune de ta classe, mais tu as appris à te défendre contre les plus fortes que toi.
"Qui es-tu?" se dit-elle. Elle ne te connaît pas, elle ne sais pas si elle t'aime, elle n'est qu'assommée, abasourdie par ta venue, toi qu'elle attendait sans se poser trop de question. Il a fallu 18 heures pour te voir enfin, après moult essais aux noms barbares, elle les savait car elle avait visité la salle de travail pour la préparation, elle avait entendu les mots : cuillères, ventouse et forceps, et puis césarienne aussi, avec le commentaire qui suivait "mais ne vous inquiétez pas, c'est rare". Elle avait eu droit à tout, elle avait demandé "que puis-je faire de plus, de mieux, pour qu'enfin elle naisse". Elle se contentait de respirer, appliquée, pour que son oxygène te parvienne. Alors, dans un brouillard opaque, on t'avait présenté à elle, et tu avais marqué de tes yeux ce lien indéfectible qui l'avait fait pleurer.
Tu as des yeux si bleus, qu'on doit faire attention au choix des couleurs dans l'achat de tes robes et T-shirt. Tu chantes des chansons soupes, de celles que tes copines aiment, celles qu'on n'écoute jamais qu'à la radio dans la voiture, et dont on n'achèterait pas le disque. Tu demandes pourquoi on n'aime pas, on te fait écouter autre chose et tu aimes aussi. Tu adores courir sur la plage pour te jeter dans l'eau. Et le chocolat.
Elle te regarde comme une étrangère. Elle ne sait rien de toi. Rien des enfants. Tous les principes qu'elle avait accumulé, s'écroulent comme un château de cartes. Elle te donnera le sein pendant 20 mois, sans doute pour réparer cette douloureuse venue au monde. Elle en apprendra le plaisir, le contentement. Tu oublieras, sans doute.
Tu l'appelles Maman,
si tu savais le temps qu'il m'a fallu avant de me sentir mère.
Un jour, j'ai su que je t'aimais, sans savoir comment, ni pourquoi, peut-être quand une personne a voulu te caresser la joue et que je me suis sentie agressée et toi salie. Je ne voulais pas qu'on te porte. D'ailleurs, je demande toujours si je peux porter l'enfant qui vient de naître, même s'il a six mois. Et parfois je ne demande pas, je ne touche pas, je me contente de regarder, admirer.
Je ne te prêtais pas. Il a fallu du temps pour ça aussi. Sans doute quand j'ai su que tu n'étais pas à moi.
Et puis quand je pensais à la mort, cette vie si fragile, si forte, cet être si petit, si dépendant, dont j'ai réalisé aussi un jour que je n'arrivais même pas à penser à la perte, tant l'abysse.
Je suis maman, de toi. Maladroite, de toi. Je te vois encore nue et rouge, mouillée de l'intérieur de mon ventre. C'est toi qui m'a appris la tendresse des câlins d'enfants, qui m'a montré les gestes. Je suis encore maladroite avec toi, premier enfant, qui m'apprend tout, tous les jours. Tu essuies les plâtres, contre mon gré. Je le sais. J'espère que tu ne m'en voudras pas, et qu'aucune séquelle ne subsistera d'autre que cette fine ligne pas plus grande qu'un doigt.
Tu as fini ce collier de perles, et tu viens de me l'offrir. Il est plein de couleurs.
Comme toi, ma fille.
Sacrée maman, qu'elle a ta fille.
RépondreSupprimerJe pleure un peu à cause de toi.
De l'émotion, de l'émotion.... j'ai des frissons, et les larmes aux yeux... la beauté d'être maman, quel joli cadeau tu lui fais là, elle qui t'a fait le cadeau de sa naissance -:)
RépondreSupprimerLe Jardin du vent et Marie-France, j'ai un avantage sur vous : vous l'avez lu en une fois, je l'ai écrit en plusieurs fois :-)
RépondreSupprimerCe qui n'est pas coutume.
J'ai toujours peur de faire "gnangnan", ceci dit, quand je tombe dans le persoperso.
Merci de vos commentaires, ils me font plaisir.
La belle histoire, on te lit et c'est toi la petite fille.
RépondreSupprimerLôlà, je suis la petite maman, qui apprend tous les jours à devenir grande. :-)
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