3.8.09

Voile



Ces fois où il fallait enfiler un jean encore mouillé, qui tenait debout avec son sel, sous la salopette de toile cirée.
Se faire violence devant la douleur d'un corps endolori, courbatu, d'avoir tant lutté, tenu bon.
Enfiler sa brassière, inconfortable, qui te faisait une poitrine qui dépassait de sous ton menton.
Tenter de retenir les cheveux qui se défaisaient de ta tresse pour ne pas qu'ils soient arrachés par les bouts*.
Grelotter des mains en saisissant le mât froid et humide du dériveur. Enfiler la voile à son sommet en faisant l'équilibriste, il te paraît deux fois plus lourd que toi.
Refaire le gréement, avec tes doigts devenus calleux.
Tirer le chariot à deux roues, le laser gréé posé sur le berceau, avancer dans l'eau jusqu'aux cuisses pour le faire glisser dans son élément.Il devient léger d'un coup, il partirait si tu ne laissais pas la voile choquée et ton bateau se mettre bout au vent.
Enfin tu enjambes la lisse, tu attrapes l'écoute, dès le début tu dois sortir tes fesses de la coque, car le vent prend immédiatement dans la toile.
Alors, tu coinces tes chevilles sous la sangle et tu bordes la voile.
Enfin, tu es en mer.
Et là...
Là, ça va vite.
Tu serres l'écoute dans tes dents pour border plus fort, tu sors ton corps au plus loin, tu tiens la sangle du bout des pieds, tu sens que le bateau commence à gîter, gîter si fort que tu es presque debout, ta voile bordée va frôler l'eau, là en bas, tu relâches un peu tu ne veux pas dessaler, pas tout de suite.
Tu sais pourtant que ton corps ne représente rien, un poids si léger pour ce puissant moteur qu'est cette unique grande voile, ce n'est pas la radiale, elle était prise par un autre.
Force 5, ça fait 20 mn que tu serres les dents, que tes abdos font leur exercice de bétonnage, tu es dure, et pleine de bleus, tu es forte, et si petite, allez, tu perds un peu l'attention...ça ne rate pas, le bateau t'élèves dans les airs, la voile touche l'eau, vite tu passe ta jambe sur le bord tribord et tu t'assois, épuisée, sur le côté de l'esquif, les pieds sur la longue dérive.
Avant c'était pire, tu tombais à l'eau, il te fallait remonter en passant tes bras sur cette dérive, si haute et si inaccessible avec ton encombrante brassière, en poussant des pieds sur l'eau autant dire sur du vide.
Alors, assise "au sec", tu es presque fière!
C'est facile de remonter la voile de l'eau, il suffit de laisser ton poids aller en arrière et tirer l'écoute, le bateau se redresse brutalement, tu te place rapide à ta place, et tu rebordes ta voile, hop, c'est reparti pour le plaisir pur de la vitesse, de la glisse, de l'eau salée chaude qui arrive en vagues sur ton visage...tu es excitée, tu n'as plus peur, tu maîtrises l'engin enfin apprivoisé!
Tu rentres au port, en coton, tu es trempée de la tête aux pieds mais tu n'as pas froid, tu as faim.

*:prononcer "boutes"

Photos prises à Etel cet après midi.
J'avais envie, envie!