4.2.12

De l'autre côté.

En 95 ans de vie, on doit rencontrer du monde. Qui reste encore à venir à ton enterrement, peux-tu te demander, tant doivent être nombreux ceux qui partent avant toi.
Je suis allée à un enterrement.
Une dame que je connaissais peu, qui m'avait raconté des bribes de vie, qui m'avait ouvert sa porte, raconté le temps d'avant. Que j'avais prise d'affection, puisque j'aime les vieux, comme tu sais.
J'ai sa voix quelque part sur mon disque dur, j'ai son rire dans mon oreille.
Aujourd'hui j'ai appris qu'elle aimait les fleurs, les roses.
Je suis allée à un enterrement.
Le dernier c'était celui de Mémé, en 2001.
J'avais ma première fille qui avait un mois.
C'était dans une église moderne, spacieuse comme savent l'être les églises d'après guerre dans les villes d'après-guerre.
Aujourd'hui, c'était une vieille église mais pas si vieille que ça, enfin, j'ai connu plus vieux.
J'ai tenu bon.
Je la connaissais à peine, Philo.
Ce sont tous mes vieux qui sont remontés à la surface. Cérémonie oecuménique de tous mes vieux que j'ai aimé. Ils se sont tous bousculés au portillon de mon  petit coeur, c'est à eux que j'ai pensé.
Je ne suis pas habituée aux enterrements, un tous les dix ans c'est gérable encore.
Alors forcément, c'est précis les souvenirs.
J'ai poussé jusqu'au cimetière mais je ne me suis pas résolue à aller sur son cercueil. Elle n'en a pas besoin, mes amis, ses petits-enfants non plus, à quoi bon, ceux qui partent voient plus loin que la simple apparence de ce qu'on leur présente, et mes amis savent aussi qu'on pense à eux.
Fallait que je rentre à la maison après.
J'ai hésité, parce que vois-tu, j'avais tous ces enterrements qui coulaient de moi comme un fleuve salé.
J'ai roulé lentement, comme une marche funèbre, le temps que le noeud se défasse, que l'inspiration soit assez profonde pour ne pas sursauter et rechuter.
Fallait que j'écrive.
Fallait que je pose.
On dit "mettre en terre"mais c'est du sable qui entoure la dalle. C'est du terrassement la gestion d'un cimetière.
On dit pleurer les morts, mas on doit faire le courageux.
Moi, je ne sais pas bien faire, alors je me suis sauvée sans aller voir mes amis, sans aller au café après, juste pour rentrer, et dire que oui, c'est vrai j'aime pas les enterrements.
Mais j'ai pensé à eux, et même s'ils sont partis depuis longtemps, ils me manquent encore, constate-je.
J'ai enterré mes morts une deuxième fois.



11 commentaires:

  1. "tes vieux qui remontent..."
    une expression qui me parle aussi.
    Joli texte hommage.
    Besos ♥

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  2. Un texte plein de douceur pour des moments douloureux.

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  3. T'auras intérêt à venir… pour le mien.

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  4. Merci pour le texte et merci d'avoir été là. Même si tout occupés à faire les courageux comme 15 jours auparavant, nous n'avons osé regarder personne en remontant l'allée centrale.

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    1. je me doute. Vous avez quand même une période pas simple.
      Mais je trouve bien qu'elle ait suivi Arthur de si près. C'est pour ceux qui restent que c'est pas facile.
      Grosse bise à très bientôt...

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    2. Oui c'est ce qui nous console un peu aussi; se dire qu'il n'y a pas de hasard et que c'est vraisemblablement ce qu'elle voulait.
      les petites attentions aussi ça fait du bien; un joli texte par exemple!
      grosses bises

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  5. Des mots tendre pour décrire notre destin à tous.
    Je te vois.

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Un petit mot n'est jamais si petit.

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