15.8.11

Le Quinze Août.

C'était l'heure.
Le soleil faisait de l'oeil entre les traverses des volets de bois rouge, je voyais la poussière en suspension se déplacer au gré du léger vent de la fenêtre entrouverte. Je rejetais rapidement les draps fleuris sur le côté, la couverture encore bien coincée sous le rabat; ma grand-mère faisant les lits au carré, le plus souvent rien ne bougeait. C'était valable le premier jour des vacances, ensuite, mes mains enfantines qui prenaient le relais, avaient moins de savoir-faire, voire d'envie de faire.
Pendant les vacances, c'est facile de se lever. L'esprit est en alerte avant même que le corps suive à son tour. Peut-être est-ce une question de lumière, il fait toujours jour quand on ouvre les yeux le matin, ou bien l'atmosphère d'une journée dont on ne sait pas ce qu'elle nous réserve. L'envie.
Cette fois, je sais pourquoi je suis rapide à enfiler mon pantalon et mon tee-shirt : c'est le 15 août.
La veille, avec ma cousine, nous surveillions les préparatifs sur la place des halles. C'est comme ça qu'on l'appelait encore alors qu'aucune halle ni aucun marché ne s'y dressait depuis des années, depuis la dernière guerre sans doute.
Il y a pourtant des choses qui ne changent pas.
La couleur de la moquette de ma chambre, et le rituel immuable des manèges qui se montent sur la place.
D'abord, il fallait assister à la messe.
La messe du 15 août, comme celle du 24 décembre, sont importantes à mes yeux de petite fille. Il y a toujours beaucoup de monde, pas encore trop de têtes blanches, et tout le monde chante. Surtout ma grand-mère. Une voix claire comme du cristal, qui aime glorifier le Seigneur. Alors que je ne savais pas encore que je ne croyais pas, ma grand-mère répétait souvent qu'elle n'adorait que deux choses : les choux à la crème et le Bon Dieu. Autant dire que le 15 août, aussi sûrement que les grandes marées ont toujours lieu un dimanche à midi, il y aurait des choux à la crème au dessert après la messe.
C'est mon grand-père qui se chargeait du tour à la pâtisserie.
Dans la salle à manger, rouge basque avec des meubles bretons noirs, contigüe à la cuisine, nous déjeunons en famille. De la grande fenêtre, je vois le ciel et la cime des arbres à la hauteur de mes yeux, car le jardin est en escalier. Dans mon dos, le buffet immense, vaste malle aux trésors de cristal et autres porcelaines.
Quoi que mon assiette contienne, que j'aime ou non, je devais finir.
Ainsi était la règle. Si je voulais pouvoir espérer le chou à la crème.
L'après-midi, alors que mes grand-parents se déclaraient la guerre devant l'échiquier, je rejoignais ma cousine. Elle habitait en face, un peu plus haut sur la rue. Une maison magique, pleine de couloirs, et elle a l'incroyable chance d'avoir une terrasse devant sa chambre, un toit-terrasse. C'est une maison qui craque, les vieux planchers mais aussi les feux dans la cheminée. Nous prenions parfois en hiver, un chocolat chaud devant l'âtre, et puis plus tard je me souviens d'un café pression, et de tartes pour se remettre d'une balade sous la pluie, ou bien d'une soirée d'adolescentes amoureuses. C'est une maison qui sait ce que veux dire "accueil", je garderai toute ma vie la chaleur de ces moments-là.
Avec ma cousine, nous attendions avec impatience le moment où les toss-toss se mettraient en branle. Elle vivait toute l'année sur la commune, pas seulement les vacances comme la touriste que j'étais presque, et avait beaucoup d'amis qui devenaient miens le temps de l'été. Nous nous sommes croisés de longues années, même après que je fus revenue vivre en Bretagne.
Les toss-toss, étaient notre plus grand plaisir. L'excitation de se faire peur, d'allumer la gomme d'un garçon qui pouvait nous plaire, chassé-croisé amoureux sans autre bobo que le choc entre jupes de caoutchouc.
Je ne sais plus quel âge j'avais. Moins de quinze ans je crois.
Je me souviens d'une certaine liberté. Liberté de vaquer à mes occupations sans surveillance dans la journée. D'aller et de venir entre amis, sans téléphones portables, ni peur de rien.
Sans doute disais-je à qui de droit où je passais mes journées, mais celle du Quinze Août était toute particulière, noyée dans la foule de gens connus et inconnus, perdues dans les années, les images se percutant parfois dans la chronologie de mes souvenirs.
Date immuable où nous savions que nous pouvions nous voir ce jour-là, puisque le 15 août, tout le monde se devait d'être présent.
Aujourd'hui, alors qu'enfin le soleil brille, il n'y a pas de manège là où j'habite.
Peut-être l'année prochaine, alors que les grand-parents de mes enfants auront la maison de leurs rêves, serons-nous là-bas, quelques jours pour le 15 août, avec mon frère et ma soeur, le cousin. Peut-être les toss-toss seront-ils installés sur la place qui a retrouvé son nom premier, la place au loup, et laisserai-je mes enfants grimper à leur tour sur ces machines diaboliques, qui marquent pour moi un pas dans mon enfance, mon entrée dans l'adolescence aussi.
Aujourd'hui nous sommes encore éparpillés, mais sans aucun doute il faut que le Quinze, Août. Augustement.




6 commentaires:

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  2. Le cousin, pas la cousine...
    Il est beau ton souvenir, très. Tu as envie de redonner vie aux rassemblements sur ce lieu là ?
    Les toss toss ?? connais pas. les auto tamponneuses bretonnes ? Le seul " manège " où je pouvais m'amuser, tous les autres me font peur.

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  3. Marcus :-))
    L. Oui, Toss toss, auto tamponneuse, mot phonétique exclusif Brasparts, je ne sais pas si on dit ça ailleurs. Je ne sais pas non plus pour le rassemblement, si j'ai envie. Les temps ont changés. Je ne vois plus ma cousine, elle me manque mais la vie...mes bêtises aussi, le manque de soin envers ceux à qui on tient, elle fait partie de ces erreurs-là.
    Si un rassemblement devait avoir lieu, faudrait que ce ne soit pas "calculé". Faudrait aussi que mes enfants aient des attaches dans la commune, de leurs âges. Enfin, on verra :-)) quand ils auront passé leurs premières vacances sans leurs parents chez les GP de ce côté là :-)

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  4. Pas mal, Tifenn...:)

    Je jouerais bien avec toi mais pas au toss-toss. Nan, je me déguiserais en chou à la crème et...si si ! ;-)

    Besos moussaillonne ♥
    Jack

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  5. Jack, depuis, la pâtisserie de Brasparts fait des merveilles...des Folies...Le chou à la crème, ne peut pas tenir la distance....eh eh :-)

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