24.1.11

5.

Alors, un soir, j'ai appelé mes amis. Je leur ai dit, c'est maintenant, vous pouvez venir? Il était tard, il faisait nuit, mais voilà, c'était l'heure.
Ils sont arrivés en moins de trente minutes, nous les attendions, nous étions prêts, il fallait quelqu'un à la maison, de toute façon.
C'était la troisième fois que ça nous arrivait cette histoire là. Je ne pensais pas que ce serait la dernière, je ne le voulais pas, mais c'est comme ça, les cadeaux il ne faut pas en abuser.

Hier, tu as voulu un gâteau au chocolat et aux framboises avec de la vanille. Tu dis vanille pour chantilly. Ta soeur à ton âge, disait gentil chili. Je crois que la chantilly, ici, doit s'apprendre encore un peu.
J'étais pressée. On est toujours très pressées à la fin. On en peut plus de ne plus voir ses pieds, de ne manger que des portions de moineau, plusieurs fois par jour, mais quand même. On a fait la chambre, le sac, on a tout prévu. On attend. Cette attente qui fait le plaisir aussi. La surprise du moment, j'aime cette idée de ne pas maîtriser cet instant où tout se déclenche. Il faut cette part de hasard.
Nous avons roulé. Nous avons attendu à l'entrée du service. Tu sais, les hôpitaux, la nuit, il faut sonner. Quelqu'un vient te chercher. Et puis tu prends l'ascenseur. Je ne sais pas, si de l'endroit où tu te trouvais tu planais un peu avec cette idée d'ascenseur. Comme dans les avions en apesanteur.
Moi, ça faisait neuf mois que je ne savais plus ce que voulais dire apesanteur. Ou plutôt, je sentais bien fort la pesanteur.
Je ne sais plus rien des jours d'avant. J'ai oublié, tu te rends compte? Trop pressée, je te dis. L'attente. C'est terrible l'attente.
Je te sentais bouger. Je voyais un talon, une fesse. Je te faisais rebondir d'une paroi à l'autre. Je t'aimais déjà. Même si je ne savais rien de toi.
Là, ami lecteur, tu te dis, bla bla bla, sujet rabâché mille fois...Il faut que tu saches, mon ami, que pour chacun, c'est différent. C'est terrible, c'est merveilleux, c'est douloureux, c'est tout ce que tu veux, je m'en fous, c'est unique, et c'est.
Rien n'est comparable.
Hier, tu avais du chocolat jusqu'aux coudes à lécher le bol. Et quand tu as déballé un de tes cadeaux, tu as dit: oh, c'est moche. 
Alors, on a fait comme d'habitude, oui, on a regardé tout ça, on a dit, oui, vous avez bien fait de venir, installez vous, et voulez vous la péridurale, j'ai dit oui, cette fois, parce que tu vois, je suis confortable comme fille, et puis, j'avais déjà connu les deux avec et sans, dans cet ordre, j'avais béni les dieux de l'avoir eu la première fois parce que sinon j'aurais eu La Générale (tu sais comme la femme du commandant, celle qui assomme même les plus endurants), j'avais trouvé jouissif la délivrance de la deuxième fois, nom d'un chien ce que ça fait du bien quand c'est passé, mais là, cette fois, je voulais prendre mon temps.
Et puis, j'ai eu une "copine" en guise de sage femme, elle s'appelle Mylène, je la connaissais d'un autre biais, alors on s'est fait la bise et tutoyé. Cette femme, je la remercie encore d'avoir été là.
Et puis, tu as voulu mettre ta robe de princesse, bleue à paillettes, ça te fait au moins quatre robes de princesse mais quand tes copines viennent, tu les prêtes. Ta grande soeur t'a maquillée, tu avais du bleu sur les paupières et du framboises aux lèvres. Tu as demandé si tu étais encore plus belle, parce que oui, tu es belle tout le temps, et tu sais y faire. 
Je ne vais pas tout te dire, juste que c'était parfait. Vraiment. J'ai eu mal comme il fallait, pas trop, j'ai pris des positions bizarres pour mettre au monde ce troisième enfant, parce que Mylène savait, j'avais confiance.
On t'a posée nue, sur mon sein, dès ta venue au monde et je t'ai gardée contre moi, juste essuyée, je ne voulais pas que tu prennes un bain, je ne voulais pas qu'on te brique, je ne voulais pas qu'on t'agresse.
Je voulais, que tu sois contre ma peau, chaude, je voulais te sentir.
(J'espère qu'un jour, tu ressentiras cette sensation d'un petit être glissant que l'on pose sur toi, cette chose pleine de vie et si faible à la fois, ce fabuleux présent, auquel tu ne peux pas penser jusqu'au bout, tant l'abysse est grand de la peur, de l'amour, de cette vie qui est devant).
Je savais ce que je voulais. Parce ce que c'était la troisième fois et que je ne me laissais plus faire.
Mylène nous a laissés, toi, ton père et moi.
De longues heures.
Tu as trouvé ta nourriture toute seule. Je t'ai laissé agir. Tu as été contre moi toute la nuit, d'un côté puis de l'autre. Tu t'es accrochée de ta bouche gourmande, même s'il n'y avait encore rien, tu ne pleurais pas tu étais bien, nous étions bien.

Hier, tu as eu cinq ans. 
Pendant des mois, tu es restée contre moi dans l'écharpe. Maintenant, tu es contre moi, parfois, je te sens encore sur mon dos quand nous descendons l'escalier, ou bien tu t'allonges sur moi sur le canapé. Tu es fusionnelle, tu te moules à moi si naturellement. Je te vois grandir, je suis fière et j'ai peur à la fois.
C'est pour ça que j'écris ces mots, là, c'est grâce à toi, ce blog. 
Pour ne pas oublier. 
Pour partager.
Ça ne sert à rien, c'est juste  pour dire ce qui est.
Et puis, un jour, si tu me lis...
Je t'aime. Merci d'être. 



13 commentaires:

  1. C'est trop beau, me vlà avec les yeux tout mouillés... Si t'étais là, je te dirais : "t'es con toi, tu m'as fait pleurer" mais c'est pas un mot méchant hein, c'est juste ma façon à moi de faire sortir le trop plein... Et tous ces mots qui me renvoient à mes propres impressions, aux naissances de mes sales gosses comme je les appelle. Tu dois savoir que ma fille s'est mariée en aout, mais quand tu parles de ta puce et de ses liens forts, je sens ma fille contre moi. Je pense à ce moment où je m'étais sentie si "vide" une fois qu'ils avaient été sortis de moi par césarienne, donc avec cette impression de ne pas les avoir mis au monde moi-même, d'être frustrée de ce manque...
    Tu sais que tu es une belle nana ?
    Je te serre fort
    Chriss

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  2. au début, la photo je croyais que c'était une méduse de Bretagne. je dois vieillir, ma vue s'en ressent.
    et puis non... miam.. un gateau.. des rires.. et de beaux moments...
    ton blog sera un trésor extraordinaire pour tes enfants plus tard..
    mais cela ils le découvriront un jour.. chaque chose en son temps.
    tes mots sont beaux et pleins Tifenn, une fois de plus.
    merci.

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  3. Et voilà !
    Chose promise… :-)

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  4. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  5. Chriss, je ne voulais pas les yeux tous mouillés, mais je suis touchée, tu penses. Ah, la césa, oui, je sais, c'est pour ça aussi que j'étais contente de la péridurale, j'avais quand même l'impression d'avoir été là, la première fois. Me suis rattrapée avec l'allaitement, na. :-).
    Charles, la méduse sur la plage, de saint malo...la la la...
    Marcus :-p
    Bel ami, merci toi :-)

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  6. Beau texte et souvenirs émouvants...

    Je comprends pourquoi les hommes veulent devenir des artistes. Pour créer quelque chose à leur manière et ressentir la force de cette création...

    Besos Tifenn ♥

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  7. C'est vrai que c'est une injustice que les hommes ne puissent pas enfanter, mais ils sont quand même les créateurs...Ils peuvent se reconnaître dans ce qu'ils ont participé à rendre vivant.
    Etre artiste pour la force de créer, c'est une bonne raison !

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  8. bon anniversaire à la maman, déjà et encore une fois. Heureux enfants.:°>

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  9. Heureuse mère, heureuse mère, heureuse mère...:-)

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  10. C'est fou comme on peut les aimer avant même de les voir...j'ai eu ma mère en guise de sage femme, j'ai eu de la chance, de temps en temps elle me raconte ces moments, car j'ai perdu des éléments en route ; )
    J'imagine un peu l'atmosphère de la maison, la cuisine, ta petite qui s'affaire pour se rendre encore plus belle, les piaillements...comment ne pas être heureuse? Trois fois...
    Dans un bouquin que je suis en train de lire, il y a un passage sur E.Badinter, si j'ai bien compris elle est contre l'allaitement et j'ai retenu cette phrase " si Simone de Beauvoir était encore vivante elle criairait"...voilà, même si j'admire E.Badinter, pour une fois je ne suis pas d'accord avec elle.
    Enfin bref, je t'embrasse fort et voilà, t'as aussi un Verseau dans ta famille, je sais que ce n'est pas facile avec eux. Un peu à fleur de peau, hein ?

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  11. Joyeux anniversaire jolie princesse.

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Un petit mot n'est jamais si petit.

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