Un de mes premiers souvenirs est ce fauteuil crapaud. Dans la maison de ma grand-mère, il est dans les "appartements" de Bon. Sur la droite quand tu entres. C'est une pièce éclairée d'une seule fenêtre, en rez-de-chaussée (la maison a quatre niveaux, le principal donne sur la rue).
Le lit de Bon est recouvert d'un couvre-lit couleur vert irlandais, avec un liseré doré qui en dessine le rectangle. Il se place contre le mur en face de la fenêtre, sur sa longueur. Il y a la façade noire et travaillée d'un lit-clos breton contre ce mur. Ça se fait encore je crois, cette façon de ne garder du lit-clos trop petit et exigu, que les doubles portes coulissantes, comme un panneau décoratif. Un moment dans cette pièce, il y a eu la maquette, en couches de liège superposées, de la région, le relief vallonné tout de courbes et de bosses, avec les couleurs peintes. Je crois voir mon grand-père travailler encore sur cet ouvrage, impressionnant crois-moi. Je l'ai gardé très grand dans ma mémoire, au moins un mètre carré. Je ne sais plus parfaitement, je ne l'ai pas revu depuis longtemps.
Le fauteuil crapaud est très exactement à la bonne taille pour que je m'y blottisse. Bas, proche du sol, avec un dossier arrondi comme un U posé allongé sur quatre pieds. Je crois bien qu'on ne voyait pas ma tête dépasser quand je m'y posais, du haut mes trois pommes. C'est le premier fauteuil que j'ai adopté.
Nous avons de nombreuses fois déménagé.
Vers mes six ans, il y avait un fauteuil style Louis XVI (tu me diras Mamutter si je me trompe?) aux pieds droits cannelés, à l'assise large et confortable (style fait par et pour les femmes, fallait bien qu'elles placent tous leurs frou-frous), au dossier en médaillon. Ce fauteuil est au salon, dans la maison du nord, dans le coin droit quand tu entres dans la pièce. A la droite du fauteuil, la porte vitrée qui donne sur le petit jardin. Ce fauteuil, je ne l'utilisais pas. Pas encore. Non, je me mettais à plat ventre sur la moquette, à m'en faire mal aux coudes, mais c'est comme ça que j'aimais lire les livres rapportés du Furet du Nord, fantastique lieu de découverte pour moi.
E puis, nous sommes partis. Du nord au très sud. Tu le sais depuis le temps que tu me lis. Là-bas, les meubles étaient déjà en place. Au départ, d'affreux mais confortables fauteuils vert-bouteille, aux coussins épais. Assortis au sol en fait. Oui, marbre vert. Très chouette pour les glissades.
Je ne me suis attachée à aucun meuble dans cette maison, ils n'étaient pas à nous, c'était des meubles sans histoire. Ou plutôt y avons nous apposé la nôtre et comme nous sommes repartis sans eux, autant dire que nous les avons oubliés.
C'est ensuite que j'ai ressenti le besoin de me créer mon cadre.
Comme un refuge.
Sans doute qu'un peu perdue, j'avais besoin de me raccrocher à des choses connues, tangibles, inamovibles. Comme un bureau aux pieds torsadés, avec plein de tiroirs, dont un secret.
Et puis, ce fauteuil Louis XVI donc.
J'y passais entre mes 15 et 18 ans, énormément de temps. A lire. Il était encore confortable, même avec les ressorts un peu détendus. J'y avais assez de place, et mes coudes se posaient à la bonne hauteur pour retrouver les pages en face de mes yeux.
Il ne rentrait pas dans mon premier studio. Où j'étais tout, sauf studieuse. Mais ensuite, il a suivi chacun de mes déménagements estudiantins, 6 en tout, seule, à deux ou en colocation à trois. Je n'ai pas bac+6, non. J'ai dit : pas studieuse, il y a donc eu des reprises.
Ce fauteuil était la pièce maîtresse de mes chambres. C'était le seul meuble pas en toc. Du vrai bois, noir, des vrais ressorts (de plus en plus pointus), du vrai tissu rouge et crème, le seul endroit confortable en dehors de mon futon (vrai futon).
Je sais depuis cette époque, que quoiqu'il arrive, j'ai besoin de créer mon espace de vie, l'intérieur a de l'importance pour moi, j'aime les objets avec une histoire, même si elle n'est pas mienne. Plus le temps passe et plus j'aime le vide, le dépouillement (non, ne dis rien toi qui connaît mon bazar), j'ai tendance à vouloir de l'air, du clair, de la lumière.
Mais, j'ai encore besoin d'un truc "à moi", que je m'approprie, mon coin.
Maintenant, alors qu'ici toutes les pièces sont à tout le monde, je manque d'un endroit où je pourrais me réfugier, une bulle, un lieu de calme avec des objets à mes goûts. Une maison est un compromis de goûts, on ne peux pas imposer à l'autre ce qu'il n'aime pas.
En attendant, un jour peut-être un bureau, une pièce rien qu'à mon bazar, j'ai mon fauteuil rouge.
Large, profond, confortable, en toc mais qu'importe, c'est de la vrai toile de coton dessus, et il se referme juste assez autour de moi pour que je m'y sente cachée. Il a contenu les ventres ronds de mes grossesses, mes bras plein d'enfants allaitant des mois durant. Et tant d'autres souvenirs liés. Autant que de mots dans un livre, avec tous ceux que j'y ai lus.
J'aime les maisons meublées de souvenirs avec la vie qui court au milieu et la possibilité de tout changer comme l'envie te prend. Mais toujours avec un fauteuil.
Et toi?
Je m'attache plus aux êtres qu'aux choses. Il est facile de ranger sa maison mais il est plus difficile de ranger ses souvenirs dans sa tête et, parfois même, d'accepter l'idée d'en faire un souvenir.
RépondreSupprimerJe ne parle pas des êtres, ici bas, juste de ces trucs qu'on trimbale avec soi, qu'on a pas envie de lâcher, ou bien qu'on a plaisir à retrouver.
RépondreSupprimerParfois aussi, mais je n'en parle pas là, on retrouve des objets qui nous paraissent très étrangers, voire incongrus et on se demande qu'est ce qu'on a pu leur trouver.
Tiens, tu vois que je ne compare absolument pas les êtres et les choses...
Ce fauteuil,je m'en souviens, tu en as parlé déjà et même une photo je crois. Il est ton refuge. Ton île, il connait tes rêves, je crois.
RépondreSupprimerJe n'ai gardé aucun meuble. Mais il y en a deux qui ont suivi des déménagements et finalement sont restés dans une région, auprès d'un amour parti avec moi et revenu sans moi. Deux crapauds verts olive passée l'olive, vert tilleul ? Velours lisse rapé, bas du cul ils venaient d'Algérie, rapatriés d'une vie familiale. Il n'en reste qu'un vivant, je crois. mais loin de moi, mais j'ai toujours un pincement en y pensant. A lui, dans cette région du Béarn, j'ai légué, laissé quelques objets forts..laissés pour toujours. Il y a fait sa vie, ses amours, ses enfants...( pincements ?)
Ici j'ai un fauteuil en osier bien rond dans le dos, très confo, doux. Lors d'un déménagement il a séjourné un mois dans un bureau où je bossais. Mes collègues passaient, s'y posaient et rêvaient, " tu le laisses ? c'est le mien maintenant..." mais non, il est reparti, c'est sa 5 eme maison en 8 ans, il aime, il est nomade, je l'aime.
Lôlà
Ah, laisser derrière soi, c'est dur parfois oui...
RépondreSupprimerTon fauteuil en osier m'est déjà sympathique :-)
J'ai aimé m'assoir un instant pour lire ton "post".
RépondreSupprimerA bientôt
Maia
j'aime les fauteuils rouges
RépondreSupprimerA chaque arrivée dans une maison, il y a eu un endroit à moi, essentiel pour m'approprier le lieu, même s'il devait être éphémère. Un peu comme un chien (une chienne ça marche aussi ? parce que ça me correspond mieux comme profil !) qui tourne trois fois sur lui, euh, sur elle-même donc avant de se coucher dans un coin. Et à cet endroit stratégique j'ai à peu près à chaque fois pu poser mon fauteuil, trapu, vert à carreaux, gros accoudoirs qui me permettent de me couler dedans confortablement, en travers, les jambes par-dessus l'un des côtés, le dos calé par l'autre et la tête posée de profil contre le dossier moelleux. Depuis quelques années j'ai un "mariquejaime" pas du tout intéressé par la déco, les enfants sont grands et loin. Nous habitons une nouvelle maison où tous les coins peuvent m'appartenir. J'ai eu la chance de la meubler et la décorer entièrement selon mes goûts, mais j'ai quand même mon vieux fauteuil, qui connaît toutes mes histoires et mes rêves, assis dans mon endroit favori ! Un coin plus à moi qu'à moi... et dans lequel je lis toujours.
RépondreSupprimerJe suis comme le premier commentateur, infiniment plus attachée aux gens qu'aux choses, mais il y a quand même cette exception.
Toutefois, contrairement à lui, je laisse mes souvenirs la bride sur le coup, sans entrave et j'espère ne jamais être obligée de les ranger dans quelque case que ce soit. Ils restent vivants, dépoussiérés en permanence par le vent de la vie qui passe.
Maia, bienvenueee! merci de ton passage et d'avoir laissé une trace. J'irai découvrir ton monde un peu plus tard mais j'ai cru voir des choses familières...je suis passée par Port Louis un jour...
RépondreSupprimerBelami! le rouge c'est ma couleur, tu sais, j'aime le rouge comme les roses rouges :-)
Pincée de thym : deux nouvelles lectrices dans le même, c'est la première fois! bienvenue aussi, je suis très ravie! se couler dans un fauteuil oui, c'est ça, le laisser nous prendre et laisser les souvenirs comme ils sont, un socle et parfois, un pincement. Mais surtout pas de regrets, même si.
Pincéedethym : C'est drôle je vous entrevois lisant un Douglas Kennedy dans votre fauteuil. Une vision furtive, éphémère, improbable et pourtant, infiniment.
RépondreSupprimerAh, puisque je suis sollicitée...Louis XVI, oui, c'est ça, enfin ça y ressemble furieusement, un poil plus large peut-être, super confortable, acheté en urgence en salle des ventes pour un prix ridicule (seul acceptable pour notre budget)avant de le retaper en extrême urgence puisque selon , j'ai envie de dire "la Reine -Mère" ( tu vois de qui je parle?): "vous ne pouvez pas aller dans un premier poste avec des meubles" Louis-caisse". Cher vaste salon authentique ...Napoléon III.
RépondreSupprimerJe ne me souviens pas avoir vu ce fauteuil. Il doit être à l'abri des regards indiscrets ; )
RépondreSupprimerTu l'auras cet endroit à toi. Quand les enfants s'envoleront et ne reviendront que de temps en temps pour que tu leur prépares les plats de maman !
Longtemps j'ai rêvé aussi d'un coin à moi. J'étais obsédée par le titre de V.Woolf "A room of my own". A présent j'ai tout un appart...Et un fauteuil bleu : )