23.11.11

Toile d'araignée.


C'est un trajet banal, un de ceux que tu fais les yeux fermés, plusieurs fois par semaine, plusieurs fois par jour. 
Parfois, tu as la voiture qui te fait les bras musclés, la conduite spaghetti n'existait pas dans l'temps, parfois tu as la familiale, où tu pouvais caser un landau, une poussette, une baignoire, un vélo, une valise et 5 personnes. 
La petite voiture a un avantage sur la grande : la radio fonctionne encore. Elle puis elle a une pêche, je te raconte pas. 
Bref, je voulais parler de la radio, parce qu'en voiture la radio c'est particulier. C'est pas forcément celle que tu écoutes à la maison. A la maison, ce sont les émissions où ça cause bien, où tu peux t'interrompre pour écouter encore mieux. 
Ecouter la radio en voiture la nuit, j'aime. J'ai déjà dû en parler quelque part de ça, cette sensation d'être dans une bulle, avec les lumières du tableau de bord, la voix de l'animateur/trice qui ne parle rien qu'à toi, et les étoiles ou la lune à l'ouest. Tu reviens d'un ou deux jours passés en famille, tout le monde dort et toi tu es ailleurs, au volant mais ailleurs.
Mais en journée, parfois, les trajets sont trop courts pour suivre l'intégralité d'une émission, alors je varie mes choix.
Comme tout à l'heure. C'était mon quatrième trajet de l'après-midi. On est pas écolo le mercredi, pas du tout. Quelque fois je parviens à faire une moitié de courses entre deux activités enfantines, mais bien souvent, pas le temps, je reste scotchée avec mon caddie à la caisse, et je suis en retard pour récupérer ou l'un ou l'autre. 
Tout à l'heure, il faisait beau. 
Il y avait un feu. Un feu rouge. Ici, c'est pas fréquent les feux, je me demande si ce n'est pas le seul de la ville. J'attendais sagement dans ma bombinette de voiture, la radio branchée sur je ne sais plus quelle fréquence, je hais tellement les pubs que je change souvent. 
Il fait tiède dans l'habitacle, je n'ai pas ma veste, juste un pull, mes sun-glasses, ouais, et la musique, tout à coup. Je ne me suis méfiée de rien. Tu vois, j'attendais, juste mes mains sur le volant, mes pensées vaguement maritimes, vaguement impatiente, vaguement vague à l'âme. Une proie facile. 
Pas vraiment de la musique si on est puriste, mais une mélodie. Une de ces chansons qui reste en tête des heures. Les chansons dont tu n'achètes pas le CD mais que tu peux hurler dans la voiture, quand t'es toute seule. Stevie Wonder, tu vois. Enfin, tu entends? I just called to say I love you...
On est sur la plage. C'est l'été, comme toute l'année, il n'y a pas vraiment de saison, il fait beau 360 jours par an ou presque, le sable est blanc et fin, et l'eau émeraude. On est dans une pièce surchauffée par les couples qui dansent. C'est un slow, un slow langoureux, mon dieu cette musique, et tu me serres contre toi, j'ai 14 ans à peine et tu es beau, brun, de la peau jusqu'aux cheveux, tu t'appelles Karim. C'est l'île Maurice, peut-être après la journée sur l'île aux Cerfs, le paradis comme on se l'imagine. Tu jouais, je jouais, j'apprenais, parade.
Je t'avais oublié figure toi. La mémoire peut jouer des tours parfois, mais la musique est un piège à souvenirs. Elle se fige en une toile d'araignée vorace, elle mange ses proies et peut mettre des années à digérer. Et soudain tu me reviens au visage, pas un trait de toi n'est estompé, c'est comme si tu étais là. Je n'étais pas amoureuse de toi, mais de ton copain. Celui qui avait les yeux bridés. Si longtemps. 
Le feu passe au vert, j'ai eu le temps d'avoir des frissons et presque les larmes aux yeux.
Mais heureusement il fait beau, alors je porte mes lunettes noires. 
Je continuerai de me cacher. 


Musique de circonstance

4 commentaires:

  1. Oh oui, ça m'arrive aussi quelque fois qu'une musique, qu'une chanson me cueille par surprise, me fauche et me terrasse surtout si le souvenir ainsi réveillé se rattache à mon amour disparu. La première année, j'avais renoncé à écouter la radio en voiture pour cette raison. Je suis dans la sixième année, c'est moins lourd mais ça surprend toujours. Inexorablement.

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  2. Inexorablement et tant mieux, en même temps... ;-)

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  3. Je n'aime pas trop ces surprises traitrises que font certaines musiques ou des chansons. j'en ai bcp censuré. Un jour j'y reviendrai.

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  4. C'est marrant comme tes textes, 20 ou 30 (!) années plus tard, quand ils n'ont peut-être plus besoin d'être celés, enfin me révèlent ces secrets de ma si Grande et Mystérieuse et Fascinante Soeur aînée... "Ah, alors c'est pour ça que.. " ...me disais bien que c'était lui..." "ah bon tiens j'avais tout faux..." j'ai des réponses que je n'attendais plus à de très anciennes questions. Un peu comme quand après m'être demandé comment était cette belle maison et qui comment sont les gens qui y habitent, mon métier m'y fait entrer et satisfait une curiosité passée. J'aime, ça me permet de mieux te connaître.

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Un petit mot n'est jamais si petit.

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