7.5.11

La Pluie

On attendait. On nous avait annoncé alerte numéro un, puis numéro deux.
Le ciel se teintait de vert.
Dans la cave, les provisions, l'eau, le seven-up et des boites de conserve.
On continuait de regarder la magnifique couleur de ce ciel, inattendue, surprenante.
La nuit est venue.
Nous sommes bien à l'abri derrière nos murs en béton armé, nos volets marrons lourds et épais, renforcés je ne sais de quoi, je ne sais comment. Ils frottent sur le sol peint en rouge quand tu les fermes.
Nous avons éteint les ventilateurs. Non, les climatiseurs, ces gros cubes qui forment une excroissance à l'extérieur des maisons.
Et la lumière.
Je me suis glissée dans mon grand lit, dans la chambre à gauche au bout du couloir en marbre vert, ce couloir qui contourne le patio où ne hurle plus la dizaine de perruches. Elles se sont tues, attentives elles aussi.
J'attends. Pas une inquiétude pour mes copines de classe, dans leurs cases, je ne me pose pas la question alors. C'est un jeu, une aventure. Je suis à l'abri.
Le petit matin voit un ciel gris. J'ai dormi toute la nuit. Il n'y a pas eu de cyclone, il a décidé de contourner l'île en forme de citron, il nous laisse une belle dépression.
Comme c'est la saison, c'est en janvier, c'est aussi les grandes vacances. Je retrouve Virginie, ma voisine, pour passer du temps ensemble.
Elle habite la même maison que moi, la quatrième, identique en tout point. Je suis comme d'habitude pieds nus. Je marche sur le bitume et j'ai les pieds mouillés. Le temps de revenir avec mon amie et la pluie a repris. Une pluie comme il n'en n'existe pas ici : de l'eau, des gouttes énormes, chaudes, tropicales. Nous restons dehors, jouer sous cette douche céleste, qui noie les ravines, qui dévale les volcans, qui rend les feuilles si vertes, et les fleurs luxuriantes. En quelques minutes, nous avons de l'eau qui nous caresse les chevilles. C'est comme un ruisseau. D'eau tiède. Nous rions.

Il est dix heures passée l'autre soir, ici et maintenant. Je vis dans un pays de pluie. Cette pluie que j'aimais tant, avant. Parce qu'elle était chaude, parce qu'elle était rare.
Depuis, je ne l'attends plus.
Sauf ces jours-ci.
Je vois la terre sèche. Comme en plein été. L'herbe qui gratte, elle manque de douceur, de fraîcheur, sauf après la rosée du petit matin. Je vois les feuilles manquer de vigueur. Ramollir. Elles se recroquevillent pour garder en elles toute l'humidité qu'elles peuvent. Il n'y a plus d'eau depuis des semaines.
Je ne vais pas me plaindre, moi qui n'aime plus la pluie.
Il est dix heures et des poussière, et le tonnerre gronde. Celui qu'on aurait pu appeler le Tonnerre de Brest. Sauf qu'à Brest, il n'a jamais autant tonné. Et pour cause. Le Tonnerre de Brest, c'est le bruit de ses canons. On l'entends parfois, en plein jour, en plein ciel bleu, où aucun arc-en-ciel d'après la pluie n'est possible, puisqu'il n'y a pas besoin de pluie pour les canons. Il donnait l'ouverture des portes de l'arsenal. Ou bien longtemps avant, il signalait une échappée belle de prisonniers.
Le tonnerre gronde, et sous le toit, on n'entend plus que ça. Et le ciel qui s'éclaire comme en plein jour. Et qui tonne. Et qui s'allume. Et qui bouscule. Un véritable bouleversement. On disait, quand j'étais petite, que c'est Dieu qui remue ses patates. Dieu a faim, une fringale qui lui donne l'envie de frites peut-être.
La terre a soif.
Alors, comme si l'éclair avait percé le sac de patates, elles s'écroulent sur le sol sec, en cascades froides et piquantes. Elles éclatent en un bruit sec, en rafale sur les fenêtres. Soudain, il fait frais, et l'air revient nous frissonner la chair de poule.
Le petit matin voit le ciel blanc. Les roses ploient sous le poids de l'eau. Elles aspirent chaque gouttes, comme un nectar qui les rends plus belles, plus brillantes. Il y a du vent, les nuages défilent.
L'eau a rendu la vie à l'air immobile.
Un jour, j'aime la pluie.

6 commentaires:

  1. Superbe orage ! J'aime quand la terre se désaltère après avoir eu soif longtemps, longtemps...

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  2. Oui, on voit presque, ou alors on imagine, toute la chaleur sortir de terre en vapeur...

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  3. Ah les pluies...Qu'est ce qu'elles sont belles quand elles sont chaudes...et attendues !
    Je t'ai mis une photo en écho...

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  4. Qu'elle est belle ma Bretagne quand il pleut... mais j'adorais aussi les terribles orages tropicaux en Ivoirie, on se mettait dans le patio pour regarder.

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  5. Laure, I see. Beautifull :-)
    Patrick, oui, belle. Et on reste des gamins devant la pluie, ici ou là-bas!

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  6. Déjà de la chance que tu aies de la rosée au petit matin. Ici : que dalle.
    J'aime bien l'idée de dieu et son sac de patates.
    :-)

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