17.12.08

Artichau(d)T #2

Elle a perdu la mémoire sur l'effet qu'a du lui faire l'annonce de la nouvelle. Il allait venir.
Elle a du se regarder, se dire, j'ai blanchi, j'ai grossi, je jure comme un vrai métropolitain, j'ai perdu le soupçon d'accent que j'aurais pu avoir, ce n'est plus moi, elle était morte depuis cet hiver là, cet été de l'océan indien, deux ans plus tôt.
Elle savait aussi, qu'autant elle avait changé, autant elle l'avait aimé, autant elle se devait de profiter de ce moment là, puisqu'en fin elle avait compris qu'il n'y en aurait qu'un, ce serait le dernier.
Elle avait dix sept ans et l'impression d'en avoir mille de plus. Elle se disait qu'elle devait parler moins vite pour avoir l'air plus sage, qu'elle devait sourire sans montrer ses dents pour avoir l'air moins enthousiaste, mais ce matin là, elle était toutes joues dehors, l'émail brillant, le coeur battant chamade comme jamais, pourvu qu'il lui trouve encore un peu d'intérêt!
Il venait passer une semaine à Kimmper, comme il disait, ce qui l'avait fait mourir de rire, ce qui avait brisé la glace, rétabli le contact.
Il était loin le temps où se mangeant une joue de mangue assis sur le trottoir du collège en attendant taximaman, il lui racontait tout. La bouche pleine, et le jus se glissant le long de ses doigts, il lui parlait de ses espoirs, il était champion dans son domaine, une force tranquille, elle se sentait investi d'une mission d'importance, le rassurer, parce qu'elle savait qu'il avait ce qu'il fallait du vainqueur.
Et cette semaine là, il avait fait si froid, qu'elle souffrait pour lui. Mais elle se disait aussi que lui, pourrait retourner dans son pays, là bas, au chaud. Alors, elle se taisait.
Il lui avait montré la photo de sa petite amie C. Elle se souvient du prénom, parce qu'une fois, cette semaine là, il l'a appelée comme elle. Elle avait pris dans ce temps court de retrouvailles et d'adieu, une bonne heure pour lui battre froid.
Comme elle ne voulait pas avoir l'air malheureuse, comme elle voulait qu'il soit fier, comme elle n'en pouvait plus de sa banale existence, elle avait concocté un réveillon particulier;
Elle faisait de la voile.
Dans sa région, la voile se fait même en hiver, et ce jour de décembre là était organisé une régate entre les moniteurs puis un repas de moules, digne repas de pêcheurs.
La régate se passait avec et sur des optimist. Il faut savoir que ces coques là, sont faites pour les enfants de 5 à 10 ans en moyenne.
Il serait forcément épaté. La température de l'air devait approcher les 8 degrés. Celle de l'eau bien plus, 12 ou 13. Elle lui avait prêté un ciré jaune et l'avait laissé attendre sur la cale pendant la régate.
Chaque optimist était rentré avec de l'eau sur 15 bons centimètres et pour ne pas regretté d'avoir tous mouillé chemise et pantalon, l'après midi s'était terminée par une bataille générale d'écope sur la cale et tous avaient terminés à la baille.
Le vainqueur de la régate avait été le beau brun pour lequel elle avait succombé dès qu'elle l'avait vu quelques mois plus tôt.
Surmontant cet étonnant sentiment qui lui serrait le coeur et les entrailles, elle les présenta l'un à l'autre. Ils se serrèrent la main, elle les regardait intensément, ayant l'impression d'une passation de pouvoir entre le passé et le futur, un moment hors du temps, qu'elle savait n'oublier jamais. Elle ne pouvait en parler à personne, elle était isolée, et il avait fallu le bruit de la fête et la faim de son ami pour la sortir de la torpeur qui l'avait saisie.

3 commentaires:

  1. "elle était toutes joues dehors, l'émail brillant"

    Je vois bien le tableau…
    Un peu comme sur la photo. :o)

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  2. Mmmm.
    La même qu'avant.

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  3. Très belle écriture, de plus en plus belle, ces pages de blog seront-elles un prélude à quelque chose de plus grand?
    Et lui il est rentré dans son chaud pays.

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