24.3.09

La petite fille aux yeux clairs

Dans la cour de l'école, les parents se pressaient aux portes des classes de leur enfant. Devant la mienne, je vis une mère attraper sa fille de 4 ans par l'avant bras, la saisissant brutalement, lui criant dans l'oreille des mots que je ne saisis pas tant le débit rapide et mâché par la colère les rendaient inaudibles.
La fillette, jolie avec ses cheveux blonds bouclés et ses yeux bleus, avait la bouche pincée, tirée vers le bas, le regard fixe, se laissait transporter par le bras levé à hauteur d'épaule de sa mère, toute petite il est vrai.
Nous vivions en lotissement, un endroit que l'on espère de passage, les maisons mitoyennes, les ardoises fausses, un jardinet donnant sur la route passante, une haie qui ne parvenait à pousser laissant passer la poussière du parking de la salle des fêtes communale, un hangar d'acier repeint à chaque campagne électorale.
Je reconnus un soir que je me garais devant notre pavillon la mère de famille et sa fille regagnant le leur et je décidais le lendemain de lui proposer de l'emmener à l'école à sa place, pour éviter un trajet somme toute inutile puisque nous étions presque voisins.
Ainsi fut fait.
La petite fille ne souriait pas beaucoup, ne disait jamais ni bonjour, ni merci, elle parlait un peu, mais mal, avec un défaut de langage prononcé. Nous parvenions à la comprendre en la faisant répéter et alors que les autres enfants faisaient silence.
C'était comme un chat sauvage. Elle était laissée libre de surveillance dans le quartier, elle jouait jusqu'à la nuit l'été, dehors, seule, et nous avait dit avoir une télévision et un magnétoscope dans sa chambre pour les jours de pluie.
Elle avait fini par nous adopter, venant parfois prendre le goûter chez nous, accompagnant les enfants au parc les beaux jours.
Cette petite fille sauvage, cette enfant qui s'élevait quasiment toute seule, faisait la loi chez elle. A elle de décider la façon de se vêtir, c'est pourquoi nous la voyions en robe fleurie, celle de sa soeur aînée, en plein mois de février; à elle de dire ce qu'elle prenait au petit déjeuner, elle se retrouvait dans notre voiture, des miettes de pain au chocolat parsemant son pull et la commissure de ses lèvres; à elle de vouloir ou non manger à la cantine, la question je la posais chaque matin, la maîtresse ne sachant plus qui avait dit quoi car la mère venait se plaindre des factures reçues le trimestre suivant.
Enfin, la situation sembla s'améliorer, elle se coiffait le matin, fermait son manteau en hiver, portait des bottes les jours de pluie, son sac de classe était recousu.
Au début, je ne comprenais pas. Ce laisser-aller, cette quasi négligence, ces colères contre l'innocence...je ne voyais pas le crépi jaune devenant gris sous les moisissures, le perron sentant le pipi de chien, le dit chien enchaîné au mur de la maison, le jardin d'herbes nues et pas tondues...
Et puis j'entendis la mère partir travailler à 3 heures du matin, tous les jours, à la distribution des journaux, le père en arrêt de travail à l'hôpital, un fils sans le permis de conduire qu'il fallait emmener à son travail à 20 km de là, des voitures en mauvais état toujours en panne...
Les tours étaient pris, dès que l'une de nous ne pouvait assurer le sien elle pouvait compter sur l'autre, je proposais que la fillette vienne jouer chez nous les jours de visite à l'hôpital, ou quand la voiture ne démarrait pas. Et vice-versa.
Un matin, je mis un CD dans le lecteur de la voiture. Les enfants fredonnaient en se balançant gaiement aux airs Siciliens de Roberto Alagna.
La petite fille aux yeux clairs ne disait rien, elle resta silencieuse, légèrement penchée en avant sur son siège, jusqu'à l'arrivée à l'école, elle restait encore immobile et muette.
Quand je lui posais la question de savoir si elle aimait cette musique, je vis ses sourcils se lever, ses yeux s'agrandir, elle prit une inspiration gardant la bouche fermée et hocha vigoureusement la tête.
Musique Maestro!

8 commentaires:

  1. dans quelques années, cette petite âme remerciera-t-elle sans doute quand elle aura saisi tout ce qui a été fait pour elle...

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  2. en fait, je n'ai pas l'impression de faire quoique ce soit..c'est cette réactio n à la musique qui m'y a fait penser.

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  3. Ce soir, Alice va se coucher la gorge bien serrée par l'histoire de la petite fille aux yeux clairs...mais elle aura Roberto Alagna dans la tête alors tout ira bien...

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  4. Gloups... quotidien ordinaire pour trop d'enfants, et de parents, parce que la vie est douloureuse pour tous alors, même si on compatit sans limite pour les petits qui subissent... Ne jamais fermer les yeux sur ces souffrances, même quand on a quitté le lotissement... Grave billet, Tifenn, et t'as bien raison.

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  5. Nopilouma et Flo, en fait, je les revois parfois, tout a l'air d'aller mieux, elle sourit vient me dire bonjour, gambade dans la cour comme les autres...la capacité d'adaptation des enfants est extraordinaire et je sais qu'elle s'en sortira...

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  6. La solidarité, la gratuité du geste. Ça peut changer le cours d'une vie. Pas toujours, mais ça peut.

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  7. Parfois la voix déclenche un uppercut au coeur, accès direct au fond du fond du fond, là où tout est paix, amour, beauté.
    Ainsi sait-elle dorénavant que ça existe...

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  8. Ton histoire me rappelle une camarade d'école, J. Nous la méprisions, c'était notre bouc émissaire, alors qu'elle était gentille et jolie. Mais elle était sale, mal habillée, portait une épouvantable odeur de cigarette froide, on sentait son arrivéede loin; ses cheveux jamais lavés, gras et long. Elle habitait un hlm sur le chemin du terrain de sport.
    Un jour elle est revenue, auréolée de magnifiques cheveux presque blonds, propres et gauffrés, sortant de chez le coiffeur.
    Nous avons été très gentils pendant trois jours, puis sa crasse et notre méchanceté sont revenus en même temps.
    Comme je regrette!

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Un petit mot n'est jamais si petit.

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