Hier, c'était le 31.
C'est ainsi qu'était le temps, sur son 31.
Assise sur ce tas de sable immense, elle pensait. Oui, les paysages la font penser. Penser évite de parler. Elle prend un air concentré ou rêveur, et se permet de ne pas répondre au premier appel, au premier cri. Elle sait qu'il n'y a pas d'urgence, que le temps peut attendre et parfois apporter la solution.
Après le 31, le 1er suit, souvent.
La phrase "on a nettoyé les tombes" lui est revenue soudaine, comme la rafale de ce vent glacial mais sec. Elle s'est souvenue alors des marches qui descendent l'allée du cimetière, pleine vue sur la campagne, la vallée se déroulant comme un tapis devant les yeux morts des défunts.
Ce sont des rectangles simples, qui se dressent devant ses yeux. On y lit des noms, on reconnaît parfois un visage. Peu de fleurs, la vie a mené trop loin la famille, la géographie des coeurs a pris l'avion ou le train, tout le monde est loin.
Le jour de son mariage pourtant, elle avait fait un détour avec sa robe en or et son voile chatoyant. Elle avait couru pour que personne ne s'aperçoive qu'elle avait disparu, et s'était posée un instant devant chaque branche de l'arbre familial. Vite elle avait dit bonjour, merci, vous êtes avec moi, et elle avait regagné le monde des vivants, un peu rouge, essoufflée.
Ce premier de novembre, elle est encore loin, mais le souvenir est là qui lui permet de communiquer encore un peu, de dire, t'as vu, elle est belle ma famille, tu les aimerais ces enfants là, ils ont tes yeux, ils ont peut-être ton caractère, ton nez, c'est sûr, elle veut des cheveux longs comme toi, il fait des rêves comme tu as du les faire, elle plane à mille lieues de la planète parfois, comme tu descendais de la voiture avant qu'elle ne s'arrête.
Je pense à vous souvent, je parle de vous parfois, vous me manquez, aussi, comme le temps passe.
Oui, ils manquent et ils nous manquent nos chers défunts. Mais ils continuent d'exister dans notre souvenir. Cette transmission de la mémoire familiale est d'ailleurs essentielle.
RépondreSupprimerLe rapport à la mort (qui est une totale abstraction au plus jeune âge) évolue au fil de la vie et du temps qui passe.
Y penser de temps à autre ne permet pas de trouver les réponses aux questions que l'humanité se pose depuis la nuit des temps. Cependant, ce "temps-mort" permet-il au moins de nous éclairer sur ce qui est essentiel dans l'existence et, par effet de contraste, sur ce qui ne l'est pas vraiment. Ça n'est déjà pas si mal, non ?
Tiens par exemple, une famille belle comme celle dont parle la narratrice, oui ça c'est essentiel.
L'escapade de la mariée au cimetière était très touchante. Et si elle a cru devoir la faire ce jour-là, alors c'est que sa démarche était essentielle.
Oui, ils nous manquent, on y pense, c'est bien, on dit qu'ils n'existent plus quand il n'y a plus personne pour penser à eux.
RépondreSupprimerAvec un temps de retard...
RépondreSupprimerD'abord nous les avons nettoyées et sans en faire tout un foin comme l'a fait chaque année, pendant quoi, (5, 7 ans,) quelqu'une de ma fratrie pour s'en attribuer le mérite!
En ce qui me concerne, j'ai des regrets à leur égard, regrets de ne pas les avoir questionnés sur des thèmes qui auraient "dû", à mon sens, faire partie de la transmission. Ou d'autres qui auraient mérté des explications.
M'enfin.
Ils n'étaient pas parfaits . Parfois, en aimant trop, ils ont aimé mal. Mais ils ont aimé, sincèrement, ont donné, ont transmis aussi de belles choses immatérielles dont, devenus dépositaires, nous sommes aussi transmetteurs.
" pourquoi j'ai mangé mon père ". Je les ai intégrés, ils font partie de mes génes et de ma substance émotionnelle, intellectuelle, psychologique, humoristique...
Je ne les porte pas au pinacle mais, connaissant au fil du temps qui passe ce qui leur a manqué ou ce qu'ils ont eu en trop, je leur suis pourtant, et malgré cela, reconnaissante et je les aime parce qu'ils ont été faillibles.
En parlant plus avec mes enfants, en expliquant s'ils le demandent les choses qu'ils n'ont pas comprises ou qui les ont blessées, je souhaite qu'il demeure, après mon petit voyage incarné, des liens plus lumineux entre mes enfants que ceux qui se sont noués (c'est bien le terme adapté, tiens! )dans ma fratrie et dont mes parents sont responsables, eh oui!