6.10.08

Dormir?

Avant, elle avait connu un homme qui s'endormait avec de l'auto suggestion. Il fallait se faire passer pour son corps, devenir orteil, puis cheville, puis genoux, tous les éléments de l'anatomie dont il se souvenait. Il se disait: "mon petit orteil est mou, il a chaud, il est souple, il se fatigue, il baille, il s'endort..." et ainsi de suite.
Elle, elle abandonnait souvent au niveau du genou, au mieux du nombril, soit prise d'impatience, soit d'un rire nerveux, devant ce qu'elle ne parvenait pas à prendre au sérieux.
C'était il y a bien longtemps.
Il fait nuit noire. Les chiffres rouges du radio réveil projetés au mur indiquent 2h42. Du matin.
Elle a la tête bien enfoncée dans son oreiller, le corps en chien de fusil, les yeux hermétiquement clos. Si elle se laissait faire, elle ferait partie intégrante de l'oreiller, de la couette, du matelas, ferme juste ce qu'il faut.
Il est 2h43 et un son l'éveille. C'est un de ses petits.
Petits. Grands par la place qu'ils prennent, dans son coeur et spatialement.
Parce que les jours sans école, c'est foutraque. Partout, des jouets, des bidules chouettes ou cassés qui se traînent sur le plancher.
Parce qu'à table, il est impossible aux géniteurs, aux reproducteurs de l'espèce loin d'être en voie d'extinction, il est impossible de se parler. Si d'aventure ils parviennent à s'échanger trois ou quatre mots "t'as réglé les impôts?" il leur faut fournir un tas d'explications: "c'est quoi ce que tu as dit à Papa?"
Mais la nuit, la tête dans un ailleurs si souvent inaccessible, elle voudrait bien être plus petite qu'une souris. Elle voudrait bien qu'ils n'aient pas ce réflexe primal de crier "mamaaaan" au moindre réveil.
Elle a sa tête au fond des choses, il faut qu'elle se lève, pour consolercalinermoucherdonneràboiresoulagerremettrelacouettetombéechercherlabaleinedanslesalon...
et là, elle soupire.
Elle se souvient du temps où elle se bidonnait de devoir parler à ses pieds pour parvenir à fermer l'oeil.
Elle se remémore les grasses matinées au delà de 8h30.
Elle se dit qu'on ne lui avait pas dit.
Qu'un enfant, ça ne dort pas tout le temps, et qu'à 36 ans, dès 22h elle pourrait dormir rien qu'en y pensant.
Avec sa tête, pas besoin des pieds. D'accord, c'est un progrès.

5 commentaires:

  1. Tu es maternelle jusqu'au bout des ongles et au plus profond de ton âme. Elle a bien de la chance de t'avoir, la bande des trois.
    Euh des quatre, j'allais oublier "le grand". :o)

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  2. Encore un texte très juste et très joli ! Je n'en ai qu'un et je trouve que c'est une des choses les plus dures de la maternité, de ne plus pouvoir dormir autant qu'on le souhaite...

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  3. c'est "dormir" le mot en voie de disparition...

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  4. Tiens, j'étais à deux doigts d'envoyer ce texte si fin et si exact à Zoridae... tendre et gris, avec cette petite touche qui allie légèreté et profondeur... (ça fait pub pour du café ce que je viens de dire, mais c'est ce que je pense... :)

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  5. Bah tant pis, tu te rattraperas plus tard. Plus tard, tu auras plein de temps pour dormir, petits-soucis-la-baleine-dans-le-salon tu regreteras.
    Ce sont les meilleurs moments de la vie, les heures ensembles qui construisent les petits d'homme.
    (Bon d'accord, il y en a encore plein d'autres bons moments plus tard...)

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Un petit mot n'est jamais si petit.

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