Même pas beau.
Il a le cheveu noir, la mèche longue sur le front qui cache ses yeux.
Son nez disgracieux et sa bouche sinueuse n'équilibrent pas un visage par ailleurs viril.
C'est sa machoire nette et carrée qui le lui dit.
Il est plus grand que la fille d'un bon buste, et ça lui donne l'apparence d'un oiseau, à elle, la godiche maladroite et mal enrobée.
A eux deux ils sont légers, aériens, leurs pas les mènent sur un fil invisible, qui oscille entre la vie et l'amour; ils ne savent pas toujours sur quel bord ils vont verser.
La fille est un peu girouette. Elle a trop d'amis, elle se disperse, infidèle.
Mais au fond, elle aime équitablement, mal, mais fort.
Le garçon, qui a l'âge d'un homme mais l'esprit guilleret de l'enfance, aime la musique. D'ailleurs c'est là qu'ils se sont connus: elle faisait du solfège, lui du Violoncelle. Un peu comme si elle apprenait encore à lire et que lui savait déjà écrire des histoires.
Ils se croisaient, elle indifférente à ce grand dadais qui la bousculait dans le couloir, chargé du lourd instrument, lui, la tête qui suit le mouvement de ses pieds, de peur de tomber en crochant sur le bord d'une marche ou d'un trottoir.
Un soir, le petit Théâtre accueillit les élèves confirmés de l'école de musique, il fallait même payer sa place quand on n'était pas de la famille. Famille des musiciens.
La fille était logée au balcon, avec ses amies, venues l'accompagner. Pour les garçons. Un petit copain musicien, c'est prestigieux.
La scène était un peu loin, mais suffisamment bien éclairée pour qu'on distingue l'essentiel, l'instrument, qu'il soit piano ou flûte.
Quand arriva G. la fille ne le reconnut pas tout de suite. Grand, mince, un costume noir et une chemise blanche, le prestige de l'uniforme peut-être, l'aisance du geste loin de toute maladresse sans doute.
Il s'assit, calant confortablement le violoncelle entre ses genoux, sans effort, juste pour accompagner le mouvement. De lui, elle ne distinguait plus que ses cheveux noirs et brillants, les longs doigts blancs musclés, agiles et très mobiles, le bras tendre qui d'un glissement d'archet, avait l'air de caresser le vent.
A dire vrai, s'il fallait qu'elle nomme le morceau qu'elle entendit ce soir là, elle en serait bien incapable. Elle se rappelle juste la chair de poule sur tout son corps, et les larmes qui ont coulé sans qu'aucun sanglot ne trouble la fontaine d'un sentiment nouveau.
Son coeur était meurtri de ce temps perdu, mais il battait à tout rompre, presque à suffoquer, devant l'espoir d'une communion possible avec ce musicien.
Un jour, bien des années plus tard, elle entendit à nouveau du violoncelle, dans un film magnifique, Molière d'Ariane Mnouchkine, et tout revint en mémoire.
Toute ressemblance avec des personnages connus, existants ou rémanents est fortuite, hasardeuse, inexacte, même si l'inspiration vient de l'air aspiré. Ou de l'explosion d'une étoile.
Ah, "la fontaine d'un sentiment nouveau" : joliiii.
RépondreSupprimerIl est vrai que le seul mot "fontaine" déclenche en moi une foule de sensations, de mots, de désirs, de rêves, de souvenirs...
"Fontaine, je ne boirai pas de ton esu"...premier pas vers la connaissance...
Bisous, ô source souricette sans souci si douce et douée...
NB: "sans souci", c'est pour le rêve et la rime...
A.I.
Molière, ce film magnifique d'Ariane Mnouchkine, réalisé… en 1978, je crois bien.
RépondreSupprimerJ'ai vraiment adoré ce film et j'ai vraiment aimé cette année là.
La femme et le violoncelle ont tant de choses en commun je trouve. Enfin, pour qui sait en jouer.
Mouais ! Tu m'f'ras pas croire à l'oraison des coïncidences fortuites ! :-b
RépondreSupprimerTrès joliment raconté en tout cas !
Qui sait? un petit bout entendu, un autre bout vécu, une historiette turlututu?
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