Ce jour-là, il faisait un temps froid. Froid mais beau. Presque très beau. Juste de gros cumulus, paquets oubliés de coton dans le bleu du ciel, qui laissaient parfois le soleil se faufiler, juste assez pour qu'on aie le temps de se dire, j'enlève mon manteau, ou pas?
Il y a des paysages en Bretagne, qui sont magnifiques. Beaucoup.
Il faut que tu imagines. Du sable blanc, très fin, un sable qui fait mal aux yeux si le soleil s'y réverbère, même en hiver. Une mer bleue, souvent, noire, parfois, vert émeraude quand elle veut bien, translucide, une transparence trompeuse qui te met le sol à portée de bras, alors que la profondeur de l'eau, quand même.
Nous étions 10.
Quatre adultes et six enfants. Deux voitures, oui, en pleine pénurie d'essence, des adultes fous donc, à moins que la pénurie...non, pas de politique aujourd'hui.
Les enfants, grappe de raisin vivante, s'égrènent sur le sable en quelques secondes. Ils s'entendent bien, cousins, cousines, frères, soeurs, c'est beau les enfants vivants. La plage est immense, le vent, du nord.
Les adultes, repus de leur déjeuner, décident de se poser à flanc de dune, jetant un oeil fréquent sur les enfants, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sont tous là, c'est bon.
Je les voit s'éloigner, ils sont à une centaine de mètres, mais le sable est grand, il y a de la place, c'est libre de mouvement, c'est bien.
Ils vont sur les rochers plus loin devant, ceux qui font la base d'un promontoire, au sommet herbeux. C'est de la couleur encore. Je décide alors de les rejoindre, les rochers, quand même, ça peut.
Je grimpe avec eux sur les rochers, plein de photos, plein. Ils s'y prêtent avec un plaisir que je ne leur avait pas connu avant, comme s'ils avaient eux aussi, tous, l'envie de garder souvenir de cette journée.
Pour garder souvenir, nous avons gardé souvenir.
Parce que tu vois, à un moment, je réalise que c'est bientôt l'heure du goûter. Oh non, se plaignent-ils, c'est vrai, les rochers, les crabes, les huitres, les batailles de goëmon c'est tellement mieux. Mais j'insiste.
Nous sommes alors, derrière le sommet rond et vert du promontoire, côté mer.
Nous grimpons. Je regarde vers la plage. Les trois autres adultes, là-bas, à deux cent mètres.
Et je vois.
Je vois que l'eau, cette perfide, a formé un cordon d'une cinquantaine de centimètres de large, entre le promontoire et la plage. Le promontoire devient une île.
Je réalise l'urgence. Je fais presser le mouvement, je ne sais pas quelle est la profondeur de l'eau qui est en train de monter, vite.
Je me dis, mince, est-ce qu'ils vont venir là-bas, m'aider à traverser avec les petits.
Parce que, tu vois, l'eau monte, mais vraiment très vite. Nous parcourons les 30 mètres dans les rochers le plus vite possible, je tire par les bras les retardataires, je dis vite vite, l'eau monte.
Arrivés en bas, le cordon s'est élargi. En quelques toutes petites minutes il est large de 50 m. Je fais soulever les pantalons, ils ont des bottes, ce ne sera pas grave si elles sont mouillées, j'enlève mes croquenots, mes chaussettes, et je prends sur le dos la petite qui a des bottes en cuir et pas le temps de les enlever, non, vraiment pas le temps.
Finalement nous traversons presque cent mètres, enfin ça les faisait bien à notre arrivée. C'est comme de remplir la baignoire, tu vois le niveau monter, à l'oeil nu, et le bord rester statique ou presque alors que toi tu te diriges vers lui.
Les enfants avaient de l'eau jusqu'aux cuisses, moi jusqu'aux genoux.
Je peux te dire que j'étais contente d'arriver.
Je ne me suis pas méfiée, personne ne s'est méfié, même sur la plage, la mer est arrivée sur le coté, tu vois, elle n'est pas montée par le devant de l'île, comme on aurait pu croire, comme on a cru.
Voilà. C'était ma leçon du week-end.
Crois-moi, je n'oublierai plus la marée dans les endroits que je ne connais pas bien.
Agrandir le plan
Et puis quitte à passer en mode Robinson, je choisirais l'été, et toi. Rien que.
Ah, ben moi qui ai déjà failli me noyer dans des conditions analogues (on se noie dans ce qu'on peut, hein), je suis bien content de commenter le premier, tiens.
RépondreSupprimerJe.
Sirocco
Bravo les aventuriers, tu as eu chaud....J'ai un souvenir cuisant de ce genre de chose en Bretagne aussi. A deux, une sieste qui a failli mal finir...Je raconterai, ça prend du temps et c'est coquace. 18 ans et amoureux, amoureux et novices en marées. ;))
RépondreSupprimerSirocco ;) et je suis bien contente que tu ne te sois pas noyé.
RépondreSupprimerL. oh, oui, raconte. Novice en marée aussi après 18 ans, la preuve !
Je serais presque tenté de te dire en fronçant les sourcils : "pour une Bretonne, c'est pas fort !"
RépondreSupprimerMais comme tu l'écris : tu n'oublieras pas.
Tu décris bien ce qui peut conduire à l'accident, la marée reste un phénomène potentiellement dangereux qui piège chaque année des dizaines de personnes sur tout le littoral atlantique.
Tu sais, l'accident n'était peut-être pas si loin je crois, surtout en prenant la décision de traverser avec de jeunes enfants. En plus on mésestime souvent la distance à parcourir et puis on ne sait jamais ce qui peut se passer dans le stress.
Tu vois, le danger n'était pas tant sur cette île insubmersible que dans la décision de traverser précipitamment.
Tu aurais pu faire le 18, personne ne t'en aurait voulu. Ça aurait pu faire, 20 minutes plus tard, une belle intervention gratifiante pour les sapeurs-pompiers, et une balade en zodiac pour les mômes avec les Sauveteurs côtiers du SDIS 29.
Sûr que ça aurait impressionné un grand petit bonhomme de ma connaissance. ;o)
Oui papa Schu Euh, Marcus.
RépondreSupprimerJe n'ai décidé de traverser que quand j'étais au bord et avec la vision de la profondeur et du courant léger. Et puis, je les tenais par la main et sur le dos les plus petits. Ma grande est même revenue sur ses pas pour aider ma petite, qui ne voulait pas mouiller son pantalon.
Sûr que l'hélico ça aurait été mieux :-)
Qu'en disent les enfants maintenant ? Tu nous dis ce qu'ils ont raconté, eux ? Cela me plairait beaucoup. Je reviendre plus tard dire ma marée amoureuse icitte. OK. (Là c'est ti dej noyée de thé !)
RépondreSupprimerMe reviendue.
RépondreSupprimerVoici mon histoire de marée montante pas vue. Nous sommes deux, 18 et 21 ans, on vit ensemble, on...TOUT. ET il m'emmène souvent dormir en forêt, ouh..et aussi la Bretagne voisine de la Normandie. Vroum vroum, joyeux week end.
Nous sommes en Finistère, je pense. Oh c'est beau. Seuls la longue plage, de sable, partout, la côté n'existe plus, presqu-îles tout à fait, partout, parfaites. Nous marchons, grimpons sur les monticules, les collines on dirait des planètes à elles toutes seules. La Bretagne est le pays des aventuriers et des amoureux et les deux.
Oh ce coin est doux, arbustes, herbes hautes. Pique nique et le reste..dessus, dessous, le ciel allongé, la béatitude.
Oh mais quelle heure il est ? on ne sait plus. Tiens les yeux retournent vers l'horizon en position verticale, oh mais quoi ? De l'eau, un peu ? ah c'est vrai il y avait une côte quelque part, d'ailleurs il doit y avoir une voiture là bas ? On ne sait plus ni où ni quoi. Bon, reprenons nous. les sacs, la couverture ( ben oui hein ?), l'appareil photo,etc. Ah l'eau ? Ben oui, il doit y avoir une mer quelque part, p't'ête ben un océan va savoir...
Alors on descend vers le sable, on sort de l'îlot, et ça mouille, un peu puis beaucoup, puis on ne contrôle plus rien, c'est envahi. Diantre ! Vite. Oui mais ça va plus vite. Et puis Shplassh flouipppp, ma jambe entière avalée par un trou qui veut la manger. Je suis aspirée. terrifiée ! Une force énorme. Au Sec ! IL faut lui pour me tirer. Mon sabot bleu en bois ( 1978, tu vois ?) ...y restera. Là on ne rigole plus, on comprend l'ampleur des dégâts. La trouille. faire gaffe où mettre les pieds, être prudent et vif en même temps. L'eau est au ventre, les sacs et couverture sur la tête. On ne sait plus où on va. Il n'y a que de l'eau qui bouge et enserre et on ne reconnaît plus rien du tout à l'horizon. Côte ? Voiture ? Plage ? Rien. On a changé tout en quelques heures et on est comme des couillons...
Finalement en se rapprochant du "continent", d'une terre ferme, l'eau est moins sauvage et nous laisse les bras secs. On est crevés. Ebouriffés de trouille.
C'est bon on a compris, en Bretagne il y a des marées folles et nous étions inconscients, et amoureux , complètement.
On voit un avion dans le ciel avant de voir ton fond rouge s'installer. Joli. Mouve.Move. Movie.
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