12.7.11

Le camion du fromager.

La route monte. Un peu. Juste de quoi ralentir les moins puissants. Devant moi, un camion de fromagerie. Il a l'air, il doit, revenir du marché. C'est sûr. Certain. Il est quatre heures, et il avance à l'allure de quelques chevaux. Pour un peu, j'imagine une roulotte tractée. C'est juste moins poétique, cette camionnette blanche, avec l'auvent qui flotte au vent, coincé sous la paroi du côté droit.
La route monte. Nous faisons du cinquante à l'heure. Un cheval? dix? je suis loin des 120 ou 160 maîtrisés sous le pied, l'autre jour.
Je ne me presse pas. Forcée peut-être. Mais je connais cette route, je sais qu'il ne sert à rien de tenter quelque manoeuvre de doublement que ce soit. Les virages. C'est une route de douce montagne. Elle monte, sans épingle à cheveux, elle sinue.
Je flâne.
A ma droite, de l'espace. La campagne vallonnée, verte, et brune, et jaune des blés. Les talus frisés. De chênes, de hêtres, de noisetiers. A chaque fois, je veux m'arrêter. Cesser tout mouvement et tout bruit de la route, pour admirer ce paysage silencieux, grand et vaste. J'imagine les courbes à l'ombre des arbres. Je vois les couleurs changer au passage des nuages. Comme un négatif du ciel sur la terre. je voudrais prendre une photo. Mais je sais que jamais je ne parviendrai à rendre ce que je vois. J'ai essayé. En vain.
Le relief. Je suis sur une hauteur et je surplombe des kilomètres de collines et de monts. Peu d'habitations. Des moutons. De la lande. Des terre vierges. Parfois, je sais qu'elles sont noires, l'été, quand le feu prend dans la tourbe et enflamme des milliers d'hectares.
La nuit, aucune autre lueur que celle des étoiles, de la lune quand il n'y a pas de nuages, peut-être la torche de l'Ankou qui tire sa charrette, juste pour qu'on puisse voir la blancheur de son squelette ou encore son sourire édenté. La nuit, je ne viendrais pas aux Portes de l'Enfer, le Yeun Elez, l'endroit même où le lac de Brennilis trouve sa source. C'est magnifique en plein jour, l'automne surtout, avec les couleurs orangées de la lande. Mais sous l'eau calme, un gouffre, une ancienne mare, sans fonds, dans laquelle on jetait l'âme de ceux à qui l'on refusait le paradis.
 La Noce de pierres, Eured Ven, me rappelle encore que cet endroit est chargé d'histoires, et qu'il n'est pas bon de s'y perdre. Pourtant, quand je grimpe le Tuchen Kador, un soir d'hiver, et que je vois le soleil se coucher, enflammant de rouge les nuages, il n'y a rien de plus beau. Je sais que de là-haut, je suis sur le point le plus haut de Bretagne. Et ça me rend toute petite.
Il fait lent, sur cette route, cet après-midi d'été. J'ai le sourire en voyant le camping-car qui me suit s'approcher de moi comme pour une tentative de me dépasser. Je sais bien, qu'il n'y aura pas d'endroit avant quelques kilomètres pour que la route permette cette acrobatie à un véhicule aussi lourd que le sien.
A quoi bon? Perdre cinq minutes et tourner la tête pour se remplir les yeux.
Un jour, peut-être, je parviendrai à restituer ce paysage magique, hypnotique, qui me prend aux tripes à chaque passage, de plus en plus alors que l'âge va de l'avant. Dans quelques mois, je me ferai le plaisir d'une randonnée, quand j'aurais retrouvé l'usage de mon genou, comme un pèlerinage. Traverser cette lande, de Gwarem Edern au Menez-Mikaël. D'autres l'ont déjà fait en courant. Alors, en marchant.
Et je photographierai de la plante de mes pieds chaque relief de cette terre que j'ai l'impression d'encore moins bien connaître depuis que j'ai envie de la savoir mieux.
Un fou me double enfin. Moi et la carriole à fromages qui brinquebale devant moi. Je souris encore. Je sais où il va et qu'il n'a plus qu'une centaine de mètres à parcourir.
A quoi bon, me dis-je. Il n'a pas vu tout le paysage, il s'est escagassé contre la lenteur. Je me suis garée à sa hauteur, quelques secondes plus tard, alors qu'ils ouvraient juste la portière.
J'ai encore cassé mon porte-monnaie à la maison des artisans.
Un jour, toute ma vaisselle sera dépareillée mais belle.
Et je suivrai le camion du fromager jusqu'à chez lui, pour goûter ses fromages.

7 commentaires:

  1. "La nuit, je ne viendrais pas aux Portes de l'Enfer, le Yeun Elez, l'endroit même où le lac de Brennilis trouve sa source."
    Moi, si ! Même pas peur.

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  2. Je n'irai pas la nuit non plus, parce que même le jour, il plane sur cette endroit quelque chose d'enchanteur, et on sait bien que l'enchantement peut-être un sort.
    Alors c'est bizarre, on dit comme toi Tifenn qu'on viendra s'y perdre, mais pas trop près de Yeun Elez, et ce moment n'arrive pas.
    Parce qu'on y passe, on regarde, on renifle, on pleure quand c'est juste après le feu, on s'arrête un instant, mais on a toujours un rendez-vous plus loin, alors...
    On reporte, on ira

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  3. Cinq minutes de lenteur, à regarder autour de soi, à se nourrir du paysage, ce n'est pas du temps perdu :-)
    J'aime ton paysage vu avec tes yeux et tes mots.

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  4. Au dernières nouvelles, Tifenn serait poursuivie en ce moment même par un chien noir du Yeun Elez. C'est pour ça qu'elle ne peut pas répondre et elle s'en excuse. Moi, je ne fait que transmettre.

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  5. Marcus1 : m'étonne pas de toi, mais je crois quand même que tu serais surpris :-)
    Le Jardin, bon, on se programme une balade au printemps prochain? (j'ose pas proposer l'hiver, on risquerait de se perdre dans la boue avant d'arriver en enfer).
    Phil, non, non cinq minutes, ce serait trop facile! bien plus!
    Marcus2, le chien noir s'appelle Temporis, et aussi "Rome" la série dont je me repais le mercredi soir. HouuuuuuHouuuuuu

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  6. Me rappelle les montées lentes derrière l'épicier ou le boucher en Cévennes, ou le maçon... Déjà qu'il faut une heure pour faire trente kilomètres, on a le temps de regarder le paysage, chaque trouée dans la châtaigneraie qui donne la vue sur le versant opposé de la montage...
    Yeun Elez, c'est pas bien loin de chez moi... Je me souviens d'un retour entre Quimper et Morlaix une fin d'après-midi d'hiver, je m'étais arrêté à la Chapelle Saint-Michel à la brume tombante. Tellement rassemblant avec la Margeride ou les pentes du Mont Lozère. Je m'aperçois que je suis tombé amoureux de deux endroits qui s'assemblent parfaitement.
    Je suis partant pour la balade :D

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  7. Philémon, je vais relever les inscriptions :-)

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