14.11.10
Le cimetière.
Ça faisait longtemps que j'avais prévu d'y aller.
Comme rendre visite à un parent lointain, le genre de visite que tu ne fais qu'une fois l'an. Parfois c'est par obligation.
Mais je ne vais les voir que quand j'ai envie ou besoin. Oui, besoin.
C'est une sorte de courtoisie, les tenir au courant de ma vie, l'air de rien. Marquer les moments importants.
Il y a eu des moments importants, des moments beaux, des moments graves, je suis allés les voir, ces fois-là.
Au début, ils n'étaient que trois. Un jour, ils ont été quatre. Parfait peut-être pour une belote ou un bridge, que sais-je? Je peux rêver qu'ils se trouvent parfois, qu'ils échangent, leur histoire a quelques choses communes, nous, moi, mes enfants.
Le temps passe, les événements aussi, quoi de plus naturel que d'aller poser ses questions, ses rêves, ses élucubrations, devant la tombe de ceux qui te sont chers.
Il pleuvait.
Depuis quelques jours, il pleut comme toutes les larmes de l'humanité.
Il y a eu un vent violent aussi, mais aujourd'hui, il s'était calmé. Pas de danger de branche volante donc.
J'ai dit aux enfants Venez, je vais vous montrer où sont Papi, Mamie, Bon et Mamie-Jo.
Nous avons longé l'église, j'ai dit c'est là que papa et maman se sont mariés. Ils étaient ébahis. Sans doute que c'est quelque chose qui leur est étranger, quelque chose d'impossible, puisque c'était avant. Avant Eux.
C'est un bel endroit.
On ne peut pas dire ça de tous les cimetières. Il y en a tant qui sont plats, anonymes, tristes.
Celui-là, je le connais depuis toujours, je n'ai jamais eu peur.
Leur montrer des tombes, leur montrer des noms. Un lieu, un lieu pour après, peut-être. Le rendre familier.
J'ai dit, devant la tombe au granit rose et lisse, et en redressant les fleurs de la toussaint bousculées par le vent de ces derniers jours, qu'ici étaient Bon et Mamie-Jo. Ma grande a déduit, qu'ils étaient allongés, l'un à côté de l'autre. J'ai expliqué le cercueil que l'on met en terre. En le disant je me souvenais.
"J'aurais la meilleure vue, face à l'église". Elle me l'a dit, un jour, alors que nous devions boire la coupe de champagne d'avant le déjeuner..
Mais pour moi, rien ne valait la vue de l'autre côté.
C'est un cimetière qui dégringole un coteau plongeant. Je sais qu'en contrebas il y a la route en lacets qui mène au Faou, entre autres. On y voit loin. Un peu comme l'océan, rien n'arrête le regard, sauf peut-être aujourd'hui cette mer de nuages gris.
C'est pour ça que c'est la tombe de Mamie et Papi ma préférée.
D'abord, elle a toujours été claire.
Des cailloux blancs, qui, les jours de beau temps, réverbèrent le soleil.
Et puis, la vue.
Ma fille a demandé pourquoi Jesus était tombé, c'est vrai qu'il est allongé sur le lit de pierres blanches, et ma foi, je ne le trouve pas si mal, là. Au repos.
Je ne sais pas où il était accroché avant, je l'ai toujours vu dans cette position. A regarder le ciel.
S'il se tenait assis, il verrait la colline ronde et charnue, aux bosquets lointains, limites de champs bocagers.
Nous avons arpenté les deux allées qui nous concernent. Avec un arrêt devant les noms familiers.
Ce n'est pas la peine de s'adresser à eux en paroles, je me dis qu'il suffit de se présenter face à eux pour qu'ils sachent, qu'ils sachent tout.
Ils ne jugent pas, ils accompagnent, cela me va.
Les enfants ont habité le cimetière de leurs pas de course, de leurs rires et de leurs questions.
Ils savent, d'un bord comme de l'autre à présent, où ils sont et ce qu'ils sont.
Et c'est bien.
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Rapport à tout ce que tu écris dans ce billet, que penses-tu de la crémation et de la dispersion des cendres en pleine nature ?
RépondreSupprimerJ'en pense (et je pense aussi que c'est le genre de réponse qui peut évoluer avec le temps, avec l'âge etc...) que j'aime savoir où aller quand je veux penser à eux. Peu importe pour moi la façon dont le corps est traité après la mort, le corps n'est rien. J'aime l'idée d'être dispersé(e) aux quatre vents, mais il faut, pour moi, qu'il y ait un lieu précis où. Tu vois? Il n'y a plus de maison de famille, les cimetières sont anonymes, les gens voyagent et meurent partout, souvent loin d'un noyau familial ou d'une terre d'origine.
RépondreSupprimerBien sûr, on peut penser à eux n'importe où, mais connaître l'endroit qu'ils ont choisi, qu'il soit sur une pelouse face à la mer ou dans un cimetière, c'est ce qui compte le plus pour moi, aujourd'hui.
Et pouvoir y accéder.
J'aime bien les cimetières aussi, et j'y ai quelques aventures ou anecdotes, rien d'extraordinaire je te l'assure.
RépondreSupprimerCe qui compte, c'est qu'il y ait le nom des personnes, pour se rappeler leur souvenir ou penser à eux. Ou savoir qui c'est.
Je te proposerais bien un tour dans un cimetière inconnu, Tifenn. Juste pour balader.
Besos ^^ et merci du texte.
C'est souvent le lieu d'une réflexion personnelle le cimetière... Un peu comme un lieu de mort vivifiant. Une ode au carpe diem !
RépondreSupprimerAvec mes enfants, nous avons versé les cendres de mon époux dans l'océan, face à la plage où il aimait tant nager. J'ai mis plus d'un an avant de pouvoir de nouveau me baigner à cet endroit. Pendant longtemps j'y allais le 1er de chaque mois, lancer des pétales de roses séchées à la mer. 4 ans après, les rares fois où je vais nager, j'ai l'impression de me "mélanger" encore une fois à lui.
RépondreSupprimerIl ne voulait pas être enfermé dans une boîte. Moi non plus. Mais là, à cette Toussaint, pour la première fois je suis allée dans un cimetière de notre ville et j'ai déposé des fleurs symboliques au pied de la croix jubilée, comme s'il fallait un lieu pour matérialiser son absence.
Comme parents, nous détenons la mémoire familiale et il est important de transmettre cette histoire à nos enfants, de leur montrer et de leur expliquer qui repose dans les tombes du cimetière du village.
C'est très beau comme tu écris Tifenn, ça se lit tout seul et quelque soit le sujet, tu vois. Merci.
RépondreSupprimerTous ses proches là, les anciens, dans un même cimetière, c'est fou..pour moi. cela me rend très rêveuse. Je suis décidément d'une famille de dispersés aux quatre vents et déchirures en prime.
Je n'ai pas ces lieux , proches, pas à 500 kms et dans des régions sans aucun souvenir, où aller et cela manque sans doute. Alors on invente des vies, on créé, on brasse et on flotte parfois.
Biz Lô-Là
Jack, les pirates fréquentent les cimetières, c'est connu...:-)
RépondreSupprimerThe celinette, bienvenue :-) carpe diem, oui!
Chriss, je ne savais pas. Tu m'as émue avec cette histoire de se mélanger encore, dans l'eau de mer. C'est beau.
Poussière de ciel, la poètesse, je t'embrasse.
j'avais un ancêtre également prénommé Bon... tes mots résonnent donc spécialement en moi.
RépondreSupprimersinon, je ne fréquente pas ces lieux car je les fuis, mais je LEUR parle à tous... souvent en moi.