24.5.10

Torpeur (conte du hamac/4)

Enfin.
J'ai longtemps espéré ce voyage qui m'a conduite jusqu'ici.
Nous marchions dans le désert, le pas lent de la monture nous permettant de ne pas trop réfléchir à la direction, elle seule saurait nous mener à destination.
Je n'aurais jamais pensé avoir si chaud.
Partir au petit, très petit matin, alors que les étoiles n'ont pas encore renoncé à la nuit, parler au début, pour se réveiller, pour se dire notre enthousiasme, bivouaquer alors qu'enfin l'horizon se révèle à nos yeux émerveillés, un thé, brûlant, un feu intérieur qui nous permettrait peut-être de mieux résister à l'incendie du désert.
Sans qu'on s'en rende compte les voix se sont tues, cherchant à garder à intact la moindre bouffée d'air qui nous parvenait. Sans qu'on s'en aperçoive, le pas s'est fait moins rapide, il me semble que nous aurions tous aimés enfourcher la monture, la délivrer de son bât pour le remplacer par le nôtre.
Le guide était imperturbable.
Nous autres citadins, gens de la ville, avec nos godillots neufs et nos sahariennes de pacotille. Il nous avait prévenus. Il nous avait dit en quelques mots que ce serait dur. Nous le savions sans trop y croire, on ne sait ses limites que si on les approche, nous avions depuis des heures l'impression de les avoir franchies mille fois.
Il faut dire que la luminosité.
Il faut imaginer marcher sur la bande de sable chaud, bouillant, qui, de loin, fait vibrer l'air, dessinant nos silhouettes comme des traits de pinceaux d'aquarelle, des taches imprécises et sombres ou mouvantes, insaisissables. Aquarelle, peinture à l'eau, impensable en ce lieu.
Je marchais lentement, mes pas dans les pas de celui qui me précédait, le sable me faisant comme une gangue de papier de verre, la chaleur traversant mes semelles épaisses comme une feuille de cigarette, enfin, c'est ce qu'il me semblait alors.
Ma bouche devait être aussi gondolée que le meilleur carton d'emballage, et la soif qui gonflait ma langue, ne devait rien envier aux naufragés du radeau de la méduse, entourés d'eau mais morts de soif.
Il faut dire que j'avais tout bu.
Et les autres aussi.
Nous avions confiance dans le guide, mais la torpeur gagnait du terrain.
Nous étions ensuqués, même plus collants de la transpiration du début, juste secs, durs, muets, abattus par la chaleur suffocante du sable, de cette planète de sable, car il semblait bien que nous n'arriverions jamais.
Et puis, alors qu'on ne l'attendait plus, nous avons senti un changement d'atmosphère. L'air s'est allégé autour de nos épaules fourbues, nous sentions comme un certaine humidité reconquérir nos palais, et l'entrain de revenir alors qu'au loin nous vîmes du vert et du bleu, couleurs de l'espérance s'il en est.
Le vent soulevait nos chemises, les oiseaux marins nous saluaient, nos pas se faisaient plus rapides, nous étions arrivés. La mer et ses bienfaits.
A l'heure où je vous parle, je suis dans un hamac merveilleux, suspendus entre deux arbres à la verte ramure, et le vent me souffle aux oreilles que j'ai fait quelque chose de bien, mais il me demande à quoi ça va bien me servir tout ça.
T'occupes, lui réponds-je.
Ce vent est bien curieux, je trouve.

5 commentaires:

  1. Contes du hamac, je voudrais bien que vous m'emmeniez aussi pour de vrai dans vos cordes.
    En voilà une belle veine d'écrits que celles de ce hamac là ! Il est magique.

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  2. C'est vrai que le vent est curieux. Et il aime les histoires, je suis sûr.

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  3. le vent parfois ami, parfois ennemi.. il suffit d'un écart minime en intensité ou hygrométrie pour que tout change...
    heureusement que le désert était court, le vert et le bleu ont pris le dessu sur le noir.

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  4. "les oiseaux marins nous saluaient"… en lâchant du guano en vol peut être ?

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  5. Les contes du hamac... quel joli titre au fait. Tu publies quand ???

    Il est si malin ce vent, on devrait en apprendre l'art d'investir les espaces et la glossolalie ; )

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