(S'amusera bien qui s'amusera le dernier...)
Ce matin là j'ai eu envie d'aller courir.
Je ne sais pas si le rayon de soleil s'infiltrant entre les vieux volets de bois bleu laissés en persiennes y était pour quelque chose. Je me suis étirée, j'ai rabattu la couverture, les nuits d'octobre sont fraîches dans la petite maison de vacances. Le chat tournait dans la chambre depuis un moment déjà, faisant des allers et retours entre mon oreille et le plancher, miaulant, roucoulant, dépêche toi de me donner à manger mrriiiaaouuuuh.
J'ai enfilé mon jogging, mon tee shirt et ma polaire, j'ai mis une écharpe et des gants, un bonnet pour faire bonne figure, il n'est pas tard, le soleil n'a pas encore chauffé la terre.
Dehors, les oiseaux s'éveillaient bruyamment, se posant la question de l'harmonie la plus longue ou le son le plus strident.
Le chat sur mes talons, je commençais à descendre le chemin creux, en pente douce, petite marche d'échauffement.
C'est un pays vallonné. le chemin sillonne les courbes et les bosses en suivant la sinuosité des champs encore travaillés à l'ancienne, rien de trop grand pour le pas de l'homme, un maillage de lignes à taille humaine.
Partout les arbres se parent de couleurs ocre, jaune, or, rouge parfois. Mon regard a toujours un point de repère, une limite visuelle, qu'elle soit un bois ou le talus d'un champ, un chêne tordu ou une croix de granit.
J'ai commencé à courir, suivant simplement le chemin, sans réfléchir à la route que j'allais suivre. Mon corps travaille, mon souffle me fait un peu mal aux poumons car l'air est froid, j'essaie d'adopter un rythme régulier pour lancer la machine un peu rouillée.
Le chat a cessé de me suivre quand j'ai commencé à courir, il n'aime pas la course métronome, il préfère flâner, grimper le tronc d'un arbre, chasser une corneille hurlante, ou explorer les trous de terriers.
Le sentier de terre boueuse a fait place à quelques portions de route goudronnées, c'est plus facile mais j'aime moins. Je suis entraînée à suivre la route, je la connais bien, en voiture j'y passe parfois.
Le temps s'est arrêté, je cours, mon souffle bat avec mon coeur, j'ai mis de la musique à mes oreilles, Ray Charles, les origines, The right time, je n'ai pas assez d'air pour chantonner mais le coeur y est.
Un nuage obscurcit brutalement le ciel, je frissonne malgré la transpiration et la chaleur qui me fait une seconde peau.
Je me rends compte que je suis allée plus loin que prévu, je suis sur la route du lac, autour de moi la lande s'étend à perte de vue, le vent pousse les paquets de nuages dans le ciel, leurs ombres se dessinent au sol, dans un ballet d'humeurs sombres.
Ici le temps change vite. La faute au vent, au relief qui se fait plaine avec juste en son centre un mont rond comme une bosse du chameau. C'est facile de comprendre pourquoi l'été, quand le soleil brûle les herbes drues et sèches, le feu peut prendre sur une étincelle et se laisser porter loin par le souffle des nuages.
Mais ce matin, nulle chaleur. Les ocres sont devenus noirs, les arbres ont disparu, les pierres dressées qui habillent de contraste par beau temps la porte du Diable, avec ce gris particulier du granit, se prennent pour des doigts géants sortis de la terre, leur taille immense surplombe la lande, et moi, je me sens toute petite.
Me reviennent en mémoire les légendes du pays:
Cette nuit de fête, ce jour de noce, au pied du Mont; ces gens qui dansent tant et tant qu'ils sont possédés par elle, au point de refuser le passage au recteur et à son enfant de choeur, pourtant venus jusque là pour porter plus loin l'extrême onction à un mourant. Intervention divine? malédiction diabolique? farce de l'Ankou? les noceurs furent changés en pierre, pris dans leur danse à tout jamais.
C'est simple; devant moi les Noces de Pierres, ces menhirs menaçants et le lac, cette ancienne mare, ce trou d'eau stagnante, une des Portes de l'enfer...
Il manquerait un personnage pour que ma frayeur soit complète. Je suis seule, aucun bruit, aucun oiseau (où se poseraient ils?), seul le vent siffle à mes oreilles, il tourne autour des pierres, il chante une mélodie sombre et angoissante, il m'enveloppe. Aujourd'hui je n'irais pas sur le Mont, je suis figée, je finirais par croire que c'est un jour ou l'Ankou déciderait de passer en plein jour avec sa charrette grinçante.
L'Ankou.
Écrire son nom est-il moins dangereux que de le dire?
Le lire...est ce moins risqué que d'y penser?
Sa silhouette se détache sur le ciel seulement éclairé de la pleine lune. Il marche, voûté, grand manteau de nuit avec un chapeau de pensées noires. Ou simplement le Destin.
On distingue sans doute très clairement le grand bâton qui lui sert à la fois de canne (on n'existe pas si longtemps sans avoir besoin de se reposer parfois) et d'instrument fatal, celui qui décide de séparer l'âme du corps, le vivant de la mort.
S'il se retournait, il verrait derrière lui son fardeau, aussi lourd que les corps qu'il charrie dans son sillage.
Celui qui a vu son visage, son rictus, n'est pas revenu.
Il traverse la Lande du Yeun Elez, bourreau, arme, signal, peur, La Mort. Ankou. Pas glop.
Je me demande bien ce que je fais là.
Et mon Amie s'y met aussi! Merci!
(suite… du commencement)
RépondreSupprimer… même pas peur Tifenn.
D'autant que je mettrais volontiers un final au scénario à la manière de celui du film culte des Monty Python "Sacré Graal", quand la police arrive pour arrêter tout le monde. L'Ankou embarqué dans le panier à salade, mdr.
Un moment je me suis dit "Celle-ci va tomber dans le Youdic". J'aime bien cette course des Monts d'Arrée, racontée par quelqu'un qui sait cette Bretagne, celle qui impressionne les âmes celtes.
RépondreSupprimerun jour j'ai fait comme toi... et j'ai attrapé une belle angine à cause du froid que j'inhalais... alors depuis j'évite lorsqi'il fait trop froid..
RépondreSupprimerMarcus, les Monthy Python sont moins forts que l'Ankou, quoique. ;-)
RépondreSupprimerPatrick, je ne sais pas si je la sais cette Bretagne, mais c'est une terre de Rêves...
Charlemagnet: tout ça pour ne plus courir ;-)
Joli texte ! Je vais être politiquement incorrecte, mais ça me rappelle la Normandie, et les légendes que ma grand mère normande me racontait !
RépondreSupprimerLégendes vikings en Normandie ?
RépondreSupprimerTifenn, au prochain coup j'amène des raquettes et je tente la traversée du Yeun Elez en solitaire. :o)
Et puis je voudrais dire aussi : Quelle vacherie ce Grenelle de l'environnement, car l'Ankou aura bientôt une voiture électrique et on ne l'entendra même plus venir. :o(
ah c'est malin, j'ai peur dans mon lit maintenant ! Sacrée Bretagne, refuge des légendes, trop belle pour s'arrêter de marcher/courir, mais trop changeante pour ne pas en être impressionné (même à distance !) ...
RépondreSupprimerMerci.Merci.Merci.
RépondreSupprimerTu me donnes envie de chausser mes baskets...mais je ne suis pas sûre de les prendre avec moi ;)
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