17.8.11

Le 17. Ou bien le 18.

Elle est assise au fond du jardin.
Dans son dos, une haute haie de noisetiers. Certaines noisettes sont déjà vertes, il faut se retenir de les cueillir, imaginer simplement que dans quelques semaines, on pourra les concasser dans le casse-noisette rouge dont la vis se tourne jusqu'à écrasement du fruit.
Sa tunique de lin blanc est froissée depuis qu'elle s'est assise dans la voiture qui l'a conduite dans ce jardin.
Elle est partie le matin, après avoir coiffé ses cheveux, fait poser une orchidée géante dans la chignon élaboré que lui a façonné la coiffeuse. En vérité il s'agissait d'un coiffeur, mais depuis, elle a changé, et le visage de sa nouvelle coiffeuse s'est superposé à l'ancien, depuis des années.
Autour d'elle, le monde se meut. Les silhouettes courent, les voix crient, les animaux galopent, le vent la frôle, elle frissonne.
Elle voit l'homme, les mains dans les poches de son costume, pas très à l'aise. Il n'a mis que le gilet pour le moment, inutile de s'encombrer d'inutile. Il est grand, il est beau, mais il n'aime pas ce tralala.
Elle voit sa soeur, à la robe moirée, rouge, et les talons aiguilles. Elle se dit que c'est beau, mais qu'elle ne pourrait jamais. Impossible de marcher dans l'herbe, ni les pavés, avec ces engins-là.
C'est un jour où elle voit beaucoup de costumes sur des gens qui n'ont pas l'habitude d'en porter.
C'est un jour où elle voit beaucoup de chapeaux.
Il va falloir qu'elle se décide à se préparer.
Elle est assise au fond du jardin, et sur ses genoux et à son sein, l'enfant tète avidement le lait tiède.
Cela fait 9 mois qu'elle le nourrit, qu'il la regarde de ses yeux myosotis immenses. Rien d'autre ne compte à cet instant.
Le monde a beau tourner, la tête à l'envers aujourd'hui, elle se rattache à cet être vivant dont la bouche fleurie est posée sur sa peau blanche de mère. Elle ne ressent que cette sensation de satiété, alors qu'elle même somnole, et se sent flotter au-dessus des tracas. L'ombre des noisetiers la cache aux yeux des autres qu'elle voit passer dans le soleil. Flaque de lumière.
La mère et la fille sont assises au fond du jardin.
Dans dix minutes, la cérémonie commence. Elle le sait.
Sans précipitation, elle descend le tapis d'herbe verte pour confier l'enfant à qui pourra s'en occuper momentanément.
Elle se dirige vers la pièce où l'attendent sa robe et le voile couleur soleil.
Il ne lui faut que quelques secondes pour s'en parer. Après tout, elle a horreur des collants et de tout accessoire inconfortable à ses yeux. Elle ne se maquille pas, en dix minutes il ne faut tout de même pas rêver.
Son beau-frère a décoré la Xantia des fleurs du jardin. A cette saison elles sont orange vif. Et rouge. Des Lucifer. Elle adore penser à ça, des Lucifer dans une église.
Elle se prête aux frou-frou de la robe. Elle sent la soie lui caresser la peau nue, et c'est une sensation qui vaut tous les pinceaux du monde.
C'est vrai, elle se sent belle.
Tout le monde est là.
Son coeur bat. Elle se demande où est sa fille. Elle pense aux absents. Elle est allée faire un tour au cimetière peu de temps avant, pour leur dire. Elle y retournera pour se montrer. Même si elle sait, elle, l'agnostique, qu'ils voient tout. Ou peut-être pas.
Elle est heureuse de cette cérémonie à cet endroit, parce que c'est bien là que tout le monde est, a été, sera.
Elle a oublié son bouquet sur la table de la salle à manger.
Sa fille n'est pas bien loin, elle l'entend pleurer, alors que Lommig parle. Elle ne se souvient de rien. Juste du discours des témoins qui l'a fait éclater de rire. Un vrai rire fou, qui a fait du bien. Sa fille sur ses genoux enfin. Il y a eu des applaudissements je crois bien.
Elle se souvient d'avoir bafouillé. A quoi pensait-elle?
Le mariage. Y croire ou pas? Dieu. Y croire ou pas? L'hypocrisie de l'acte de faire quelque chose d'aussi contradictoire? Ou bien juste dire à ceux qui sont là, à ceux qui ne sont plus, que c'est cet homme là qu'elle a choisi. Et l'enfant. Comme la preuve de leur vie à deux, à trois, à plus encore après cela. C'était un 17 août. Ou bien un 18. A vrai dire, ils l'ont fait deux fois.
Il y a dix ans, la première fois.




12 commentaires:

  1. : ))
    tu as retrouvé ta plume,toi.

    RépondreSupprimer
  2. J'ai placé le bureau sous la fenêtre, en attendant. J'ai attendu la fin du petit déj. J'ai laissé l'homme jardiné, les enfants dans le hamacs à s'amuser, et enfin, j'ai pris le temps.
    Faut dire que la saison se termine, je vais avoir du temps :-).

    RépondreSupprimer
  3. J'ai démarré un projet de livre, de recueil, de ...?. Il est temps.

    RépondreSupprimer
  4. Il y a dix ans pour nous aussi, mais je ne saurais pas l'écrire d'aussi belle façon.

    RépondreSupprimer
  5. c'est VRAIMENT superbe, dis-moi! Ca vallait le coup de se marier pour pondre un texte comme ça.

    RépondreSupprimer
  6. L, oui, il est temps, tu es plus que prête, tout ce que tu écris est... tellement. Tellement si tant.
    Le Jardin, oh c'est gentil ça, mais je ne te crois pas. (je te crois pour les dix ans :-) )
    Ariana, j'adore faire la poule de temps en temps :-) Merci pour les lettres majuscules , ça fait chaud :-).

    RépondreSupprimer
  7. Quelle joli robe...tu fais remonter des souvenirs datant de six ans...aurai-je un jour les mots pour en parler aussi bien...j'en doute (même avec un bureau sous la fenêtre...)

    RépondreSupprimer
  8. Le texte est très beau c'est vrai, mais alors la photo de la t'ite fée, que dire après tant de superlatifs…

    RépondreSupprimer
  9. Moi, un dix-huit août matin, très tôt, c'était la venue de Céleste, mon premier garçon.
    Vingt-neuf ans plus tard, le souvenir est intact, et l'émotion toujours aussi grande quand je le regarde vivre.
    Très joli texte, Tifenn.

    RépondreSupprimer
  10. Maya, merci, mais les mots qui viennent de chacun sont les plus beaux, c'est aussi celui qui lit qui a de l'importance :-)
    Marcus, je te montrerai la robe, elle est accrochée à un cintre, la fée n'étant pas Cendrillon elle n'est pas princesse et ne brille plus ...
    Philémon, merci. Oui, les grands moments comme ceux-là, on ne les oublie pas, une naissance encore plus qu'un mariage même je crois ;-)

    RépondreSupprimer
  11. J'aime beaucoup cette photo..... et le bébé à ton sein ce jour-là....

    RépondreSupprimer
  12. Merci Papillon, et je suis contente que tu sois de retour :)

    RépondreSupprimer

Un petit mot n'est jamais si petit.

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.