30.1.11

Les réverbères.


Moi, je ne pleure pas.
Ça fait des mois qu'on en parle, des semaines qu'on s'équipe. Il y a polémique sur l'intelligence d'un tel projet, à la maison. Parce que, même si on est aidés, ça coûte une jambe. Et puis tu rajoutes toujours des trucs de dernière minute. Une valise par exemple. Un pull chaud supplémentaire. Rien plus rien plus rien, ça fini par peser.
Mais.
Ça fait des jours que tu ne tiens plus, que tu en rêves, tu sais déjà tes compagnes de chambrée.
Hier, j'ai trouvé d'urgence un nouveau bonnet, car tu as oublié le tien à l'école. Et de la crème solaire.
Moi, je ne pleure pas.
Quand tu es allée à l'école la première fois, je ne pleurais pas. Je crois que j'étais trop épuisée pour réaliser ton abandon dans une classe avec des inconnus.
La radio s'est déclenchée à cinq heures ce matin. J'ai enfilé mes affaires et je suis allée à pas de loup dans ta chambre où dormaient aussi ton frère et ta soeur.
Je t'ai caressé la joue, tu n'as pas réagi. J'ai prononcé ton nom, tu as bondi autour de mon bras, tu a été rapide comme jamais pour t'habiller.
J'ai pris tes chaussons, tu as mangé des céréales, un pamplemousse, j'ai réveillé ton père pour un bisou.
On était à l'heure.
5H45. J'en frissonne encore.
Nous n'étions pas les dernières, ni les premiers, au vu de la soute déjà pleine. J'apprenais par la même occasion, que l'on peut transporter tout son dressing dans une valise à roulette. Mais une grosse. J'ai pensé, mais qu'ai-je pu oublier? j'ai forcément oublié quelque chose, vu la taille des armoires dans la soute.
Une pensée émue pour l'adulte ou l'enfant qui va devoir traîner ça derrière lui. Une pensée émue pour toi, si j'ai oublié de mettre un truc essentiel.
Moi, je ne pleure pas.
Il y a avait les mamans, les papas. Vous êtes monté dans le car, qui faisait la lumière à lui seul. Les clignotants qui rythmaient le temps. Le bruit du moteur, prêt.
Tribord, dernier tiers. Tu as fait un signe de la main, engoncée dans ton bonnet, dans la doudoune rose.
Moi, je ne pleure pas.
Il ne partait pas le car.
J'entendais des mamans pleurer. En riant. Ça reniflait. Je voyais des enfants dans le car, s'essuyer les yeux.
Nous, on était fortes, on souriait.
Parce que moi, je ne pleure pas. Et toi, tu fais comme moi.
Et ce foutu car qui ne partait pas.
Enfin, la directrice a dit, ne vous inquiétez pas, on vous tient au courant, quelques-uns on répondu, on espère bien... La porte s'est refermée.
Je te faisais coucou, tu me faisais coucou.
Tous les enfants faisaient coucou.
Les réverbères ont grésillé.
La masse blanche du car s'est ébranlée. Il a commencé la descente de la rue.
Sur l'autre rive de la route, le car dévoilait ce geste uni, des parents comme un seul parent, le bras levé pour vous saluer, des parents qui voient partir leur enfant.
A l'heure où les réverbères s'allument, tu es partie pour le pays des montagnes blanches.
Moi, je n'avais jamais pleuré.

13 commentaires:

  1. C'était ce matin ? C'était quand et à quel âge ? C'est comment maintenant ?

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  2. C'était ce matin, faut pas se fier aux dates sur les photos qui sont un trucage de l'imachin. Elle a 9 ans. C'est la première fois qu'on est séparés si longtemps :-) C'est comment maintenant? ben shépas, ils arrivent ce soir, les Pyrénées ...

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  3. En définitive, c'est toujours la même histoire. Nous ne faisons pas des enfants pour les garder mais pour les voir partir. Et ça ne fait que commencer…

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  4. Marcus, tu sais, je me suis toujours dit qu'ils partiraient, comme je suis partie. Pire, je sais que peut-être (et je le leur souhaite) ils partiront loin...je le sais. Il faut que j'apprenne. C'est tout :-)
    Belami, ben non, les papas ça ne pleure jamais, tu te rends compte si un papa pleurait, on aurait le droit de se dire que la force, c'est aussi des larmes.

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  5. Les miens sont partis, devenus oiseaux avides de la découverte de l'ailleurs. Tout d'un coup, ils sont devenus tellement grands et le nid si étriqué. Ce sont des migrateurs les enfants, ils reviennent se chauffer à notre chaleur de temps en temps pour le plus grand plaisirs des uns et des autres, mais le kaleïdoscope a changé de couleurs. Et puis, nos petits font leurs petits et le coeur s'agrandit... comme notre nid ! Les séparations donnent aussi de belles histoires... après.

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  6. ça fait un moment déjà que les miens ne sont pas partis en classe de neige... sont trop grands maintenant !
    Moi non plus je ne pleurais pas ! Parce qu'ils étaient tellement heureux.
    Maintenant, mes grandes sont loin pour leurs études et je pleure à chaque fois qu'elles repartent après une trop courte visite.
    J'ai encore mes deux garçons avec moi et ça me tiens chaud.
    Mais je ne vais pas te mentir... lorsque je voyais le car s'éloigner dans la brume matinale, j'avais un pincement au coeur, non, au ventre, ou peut-être bien à l'âme !!! Enfin... un p'tit truc qui fait qu'on a l'impression qu'une partie de nous manque cruellement.

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  7. Pincée de thym, oui, les séparations, c'est une déchirure mais aussi un nouveau départ. J'aime l'idée d'une maison comme un nid.
    Pakita, je l'ai eu ce pincement au coeur : c'est quelque chose qu'on ne sait pas maîtriser je crois...

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  8. Moi j'en connais un qui va bientôt partir avec sa classe de beaucoup plus jeunes et qui a surtout peur des parents angoissés!

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  9. Les parents angoissés? mais dis-lui donc que ça n'existe pas! :-)

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  10. Sois disant, dans la valise, on oublie la pièce de vêtement, le bonnet, les lunettes ou les gants.
    Même pas vrai, c'est un trophée, un doudou pour nous, les parents. Durant la semaine on s'inquiète de notre négligence. Mais il ne s'aperçoit de rien l'enfant. La monitrice lui a déjà trouvé un bonnet remplaçant, celui d'un enfant d'avant, retourné voir ses parents.
    Et quand revient le chérubin, il a grandi et nous dit ce que nous n'avons jamais vu comme lui. ET nous les parents, on apprend.

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  11. Virginie, c'est bien, t'es une grande fille :-)
    Jaleph, c'est vrai archi vrai, c'est pour ça que je ne pleure(rai) jamais :-). Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas, nnssspas?

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  12. Je me souviens d'un départ des oiseaux...bien plus grands! J'étais serrée de chagrin bien que cela fût dans l'ordre. Je suis sortie pour m'équiper en choses douces, assez pour tenir un we de solitude, compensation (tu parles!) pur jus : des dragées aux amandes (mon péché pas mignon) et des films drôles (4). Manque de pot, j'ai croisé des gens qui me connaissaient et, dès qu'ils me parlaient, je me niagararisais en disant: pas grave, je préfère pleurer maintenant (ben oui, on n'a pas tous la même force, et puis les enfants n'étaient plus là, pas vrai, alors je pouvais!) et me rincer le coeur maintenant que de garder un gros noeud pendant des semaines, je serai plus vite soignée...Rires et dragées ont bien occupé mon temps ("tel est pris qui croyais prendre,( un des premiers de K. Spacey), "les dieux sont tombés sur la tête", et moins fin, quoique..."touche pas à mon périscope" devenu "y a t-il un commandant pour sauver la Navy" . Pas très intello, mais qu'est-ce que ça fait du bien!
    Papa-Oiseau, lui qui avait guidé ses poussins jusqu'à leurs nids lointains a eu plus de mal, a mis plus de temps...
    Parents, c'est vraiment parfois un terrible métier.

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