15.6.10

Les Roses.

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Avant, il y avait un grand virage.
Ils lui disaient, "on veut couper ce virage, il faut raser ta maison".
Elle résistait.
Tu penses bien, voir les tracto-pelles et autres engins de destruction détruire ta maison, ton foyer, là où tes quatre fils ont grandi, là où ton mari est mort.
Je vois la chaise bleu pâle, bleu ciel, je vois les fils de plastique qui en font le dossier, des fils comme les fils à linge, tu vois?
Je suis sur les genoux de Papi. Je regarde le rosier qui grimpe sur le mur décrépi de l'ancien relais de poste. Il y a même encore les anneaux dans la pierre. Là où on attachait les chevaux. Tu vois un anneau et tu imagines la scène. Le cheval devant le mur de pierres. On ne la voit pas la pierre, elle est cachée par un revêtement un peu gris, comme on faisait partout avant que la pierre revienne à la mode et qu'on sache bien l'isoler.
Et puis le rosier rouge, qui s'accroche et qui monte au ciel.
J'aime les rosiers. Je ne sais pas si c'est grâce à ce souvenir là, je en sais même pas si ce souvenir est un vrai souvenir ou si je l'ai reconstitué avec des photos, des mots, des histoires que l'on m'aurait transmises. Mais quand même. J'ai l'image de cette chaise, des bras de Papi, et même si je me trompe, c'est mon souvenir. Alors les roses, les roses roses et les rouges, les pêches, et les blanches, les petites et les grosses, les fines et les pulpeuses veloutées. J'aime les roses.
Le virage a été coupé. Il reste un petit triangle d'herbe à la place de la maison de Mamie. C'est fou comme c'est petit. C'est devenu petit depuis que Mamie est partie, son mauvais caractère et sa générosité, son sourire et sa gaité.
Je me souviens de ce qui servait de cabane pour les toilettes, dans un autre coin du champ qui était derrière la maison. On ne dirait plus un champ maintenant, il n'y a plus que des broussailles.
La cour dans laquelle se garait la camionnette de l'épicier, celui qui vendait du raisin et du chocolat Milka, n'est plus. On dirait que la route a tout mangé. La maison, et le rosier. Mais pas les souvenirs.
Les pierres sont ailleurs. La maison de Mamie n'est pas tout à fait disparue. Elle forme un cube de 3 mètres de long sur 1 m environ de haut. Des pierres plates, posées les unes sur les autres, dans un autre champ, en attendant de reprendre vie, de recréer un nouveau foyer.
Il y a un temps pour tout.
Les souvenirs qui font l'avenir, les pierres qui continuent d'abriter, et le rosier.
Hier, j'ai reçu une photo.
Le rosier de Mamie, transplanté, déplacé, oublié, retrouvé, dégagé, enfin, admiré.
La rose rouge sur la table, la plus belle rose du rosier de Mamie, j'en suis sûre.

13 commentaires:

  1. Oh une route qui mange une maison. Pas bon.
    Oh une rose d'un rosier éternel. Bon.
    Souvenirs sur les genoux, caressant les pierres qui ont tout le temps.

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  2. Oui, elles ont tout le temps, elles savent elles.

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  3. Le souvenir peut être vrai ou imaginé. Peu importe. Il est ce qu'on a voulu en faire. Il est ce qui nous fait être. Notre sève, en quelque sorte.

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  4. Oh je me souviens de cette maison moi aussi..... C'était peut-être une qui lui ressemble beaucoup, avec une autre grand-mère, un autre grand-père, la cabane, derrière, dans le petit champ, pour les toilettes... et un rosier..... Moi aussi j'aime beaucoup les roses, et les rosiers.....

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  5. Phil, comme tu as raison, je ne voudrais pas que l'on me modifie ce souvenir, je l'aime comme il est :). et la sève, j'aime beaucoup.
    Papillon, alors, nous sommes cousines? je t'embrasse :))

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  6. Le rosier jamais oublié : comment oublier un trésor de beauté ,de parfum, de perfection naturelle et qui fut offert par un coeur pur, plein de bonté, de générosité, de vie?
    Mauvais caractère? Non! seulement vivante et sincère! Avec elle, jamais de facture en retard, jamais d'abcès: elle disait ce qui la faisait réagir et de cela, nos relations étaient claires: c'était la championne du "oui-dit" et si grâce à cela l'atmosphère s'échauffait, c'était comme l'orage, le tonnerre, les éclairs et après, la pluie qui lave tout et la terre qui sent bon.
    Cette femme n'était tissée que de tendresse pour les siens, rien d'autre ne comptait.D'où peut-être sa fantaisie dans tous les domaines qui n'avaient pas de rapport.
    "Fontaine de bonté" dit Romuald à Juliette. voilà qui la définit bien.
    Et les pierres vont revivre, bien sûr.Le temps est venu.

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  7. Ho, je ne savais pas que le rosier avait été sauvé ?

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  8. Tamutter, bien. Déja le rosier, cest bien .
    Lisenn: une bouture?

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  9. juste l jour où je rencontre un enfant orphelin de l'amour parental , tu parles de ce personnage incarnat l'amour maternel. merci.

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  10. Pour Lisenn: y a qu'à!
    juste à la bonne saison...venir le chercher car : fragile, difficile et tout et tout!

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  11. Anonyme, binevenue et merci :)
    Samutter à lisenn, ah ah.

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  12. Avec toi, même la nostalgie devient fraîche et légère, j'adore.

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