10.6.12

Le parfum du sapin.

Quelque part dans le monde, en Afrique du nord sans doute, il y a une tombe.
Un jour, une famille se tenait autour, le jour où le ciel était encore gris de la peinture des avions de guerre, les champs déserts, sans assez de mains pour en faire naitre la vie, et les ventres creux, de ceux qui n'ont plus rien, et encore moins que rien car ils viennent de perdre leur enfant.
Sans doute que leur belle maison leur a paru dérisoire, sans doute qu'il sont eu du mal à se cacher pour pleurer, néanmoins je suis sûre qu'ils se sont dissimulés, c'est comme ça qu'on faisait.
Un jour, cette famille a quitté la terre africaine pour rejoindre la France, laissant derrière elle cette tombe, l'endroit où ils venaient se recueillir parfois.
Ils n'y sont jamais retournés.
Dans leur coeur subsistait le souvenir, celui de l'enfant dont la perte était si grande qu'on souhaiterait l'oublier sachant que c'est impossible, alors on en a gardé les rires. Ils ont pensé à elle toute leur vie. Jusqu'à leur mort à eux.
Ils ont été enterrés, le père et la mère, plus de 50 et presque 60 ans après leur enfant. Ils reposent ensemble, leurs noms figurent sur la même pierre tombale. C'était son souhait à elle, après avoir pensé à l'incinération, de finalement venir dans le même lit que celui qui avait partagé sa vie. Eux deux avaient aimé, s'étaient aimés, avaient connu la mort, dont celle qui nous insupporte.
Le jour de son mariage, leur petite-fille est venu les voir. Tous les deux allongés là, sous la pierre rose, heureuse de leur dire la vie, la sienne, ses envies, ses souhaits, le tout dans une seule et unique respiration essoufflée, un mot pour en dire cent, un sourire pour en dire mille, un élan pour dire tout.
Elle a descendu le cimetière un peu plus bas pour dire le même sentiment à ses autres grand-parents, dont tous les enfants sont encore vivants.
Elle se dit à présent, des années plus tard, qu'elle est bien heureuse de pouvoir aller là quand elle veut. Il suffit qu'elle le veuille. La pensée même l'y conduit, elle connaît la route. Quand elle y va vraiment, elle est saisie de la proximité de son histoire. Ils sont tous là, ceux qu'elle a connu. Ils demeurent dans ses pensées, cela pourrait être assez, mais non, la dimension de marcher dans leurs pas, de voir le paysage qu'ils ont connu par coeur, peut-être même en ont ils marre de voir le même pour l'éternité, mais elle en doute, ils aimaient trop cette terre, la dimension de ses pas dans les leurs a son importance.
Elle a une conscience aiguë de ses racines. Elle qui aime tant partir. Sans doute parce qu'elle sait d'où elle vient et où elle peut revenir.
Elle se souvient s'être moquée de son père, n'avoir pas compris la notion de "maison de famille", rire de cette manie de vouloir être "de là", plutôt que "d'ailleurs". Elle disait, je suis de partout, partout où je vais je suis, je m'adapte, peu importe le reste. Il lui suffisait de transporter un fauteuil, un tapis, et elle était chez elle.
Mais depuis quelques temps, elle se pose la question de savoir où.
Où?
Où veut-elle être enterrée?
Où veut-elle avoir son nom pour qu'on sache où elle est?
Parce que ce petit enfant mort en Afrique du nord, à quoi ressemble sa tombe? Où est-elle? Ceux qui portaient le souvenir du lieu sont morts avant qu'on ait pensé à leur demander.
Une carte géographique des lieux de nos morts.
On oublie jamais ceux qu'on a aimé. Mais n'est ce pas important de pouvoir aussi rendre visite? Le souvenir suffit-il?
Aujourd'hui je voudrais bien savoir où il est cet enfant là. Juste pour mémoire, savoir qu'on ne l'a pas oublié, même ceux d'après. Il fait partie de la famille par son absence. Il a fait changer le sens des choses après sa mort. Il est un des rouages de la famille.
Et ceux qui comme moi, ont une vie dont les horizons sont sortis du village, dont les repères sont loin, égarés, est-ce que je vais vouloir rester près des terres d'origine ou bien rester là où je serais partie?
Sans doute que le lieu a un sens quand on y a passé une partie de sa vie. Le lieu d'origine, je le fréquente encore, même plus souvent qu'avant. On y retourne tous. Je ne voudrais pas y vivre, mais je m'y sens "chez moi", au-delà de ce que j'en connais. Ici, là où je vis, je suis une étrangère. Une non-native.
Est-ce que dans 50 ans ça aura changé?
Est-ce que je voudrais reposer dans ce lieu anonyme où je ne connais personne mais où j'ai fondé mon foyer, ou bien...
Ou bien, l'eau va couler longtemps sous les ponts avant que j'ai envie de me reposer la question de mon repos!!
Un jour, je serais peut-être d'un ailleurs où je me sentirais encore mieux chez moi.

Je m'en pose des questions pour un dimanche soir...
Et toi, tu as réfléchi à ça?




9 commentaires:

  1. C'est bien d'y penser, et de décider à un moment et surtout de l'écrire noir sur blanc. Il y en a qui ne l'ont pas fait et dont les enfants se sont déchirés pensant chacun connaitre la bonne réponse ( Où et comment ?) mais chacun avait la sienne. Alors , forcément, maintenant moi, pour moi je sais et j'ai écrit.

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    1. Cest bien aussi de savoir...

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    2. Beau texte, Grande.
      Cette absence pour la benjamine que je demeure me faisait râler,la date d'un des deuils collant à celle de ma fête, celle-ci ne m'a jamais été souhaitée.
      Trop petite pour comprendre.
      "c'est pas juste" aurais-je dit si j'avais appartenu à la très jeune génération de mes petits (chéris)zenfants. Mais je le ressentais comme tel.
      Ceci dit, la grave question que nous nous posons est: quel emplacement choisir? Celui des parents ou celui des beaux-parents? Ah ! Mon argument est "la vue est plus belle "chez" mes parents"....Enfin, pour qui croit à la vie éternelle, on s'en fiche : libérés de nos corps très mortels, nos âmes iront où elles voudront! L'important, c'est d'être ensemble!

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    3. Y'a aussi le choix de là où tu vis. Pour les Beaux-parents par exemple, je suis incapable de dire où sont leurs parents à eux, même si j'ai assisté aux enterrements. Cimetières très anonymes. Sans vue bien sûr.
      Est ce que le choix ne dépend pas aussi de ça? de l'apparence du lieu?
      Enfin bref, il nous reste du temps pour y penseR...

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  2. moi, c'est simple...
    d'une famille ancrée dans sa terre, dans ses terres, nous devenons une famille errante au gré du vent qui disperse les cendres là où chacun à vécu ses beaux jours, là où il s'est reconnu dans les terres qu'il a arpenté...
    mes deux soeurs chacune chez elles en Cévennes, mes parents un jour là où ils auront souhaité prendre leur envol, sans doute en Cévennes également
    moi, j'imagine, quelque part en mer du côté des Sept Iles, ou de Batz, ou au large de Locquémau, là où j'aime tant péleriner à chaque fois que je reviens en Bretagne.
    et surtout, ne jamais imposer un lieu de mémoire, mais continuer à vivre dans la mémoire de mes enfants par un souvenir, une atmosphère, un plaisir partagé...
    j'ai mes soeurs dans mes souvenirs, je n'ai pas besoin de les savoir là ou là pour qu'elles me survivent

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    1. Bé oui la mémoire elle est partout et surtout en nous. Ne rien imposer mais permettre un choix.

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  3. Du temps pour y penser, alors même qu'aucun d'entre nous n'est jamais certain en s'exprimant, qu'il parviendra à terminer sa phrase.
    Mais qu'importe ! Beau texte, Tifenn. Très beau texte.

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  4. "non native" ce terme l'a fait sourire car je n'ai jamais vécu dans un lieu où de la famille était née. faut croire que c'est dans les gènes. cela aide pour le choix, celui d'une tombe immobile étant sans sens, on choisit les cendres et l'éphémère à disperser. On choisit alors où le disperser cet éphémère,pour rester vagabnd sans illusion aucune sur les suites.
    Et laisser traces écrites me parait bcp plus prioritaire et vibrant, pour qui a des enfants, entre autre. Allez, hop !

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    1. Non native, ici où je vis je sais presque chaque jour que je suis non native. Alors que parfois j'ai l'impression de savoir lieu que ceux d'ici la richesse de leur pays.
      Native pour moi c'est le lieu de l'enfance, là où il y a une histoire que je connais. Parce que je ne suis pas native non plus du lieu familial ah ah ah. Mais j'y ai eu de grands plaisirs et j'y ai des souvenirs passés et même encore présents. Alors oui, on peut se dire natif du lieu qu'on choisi. Celui qu'on aime. Mais il change ce lieu au fil de la vie. J'ai été réunionnaise quand je suis rentrée en Bretagne et j'étais bretonne à la réunion! La maintenant je suis du Finistère alors que dans le Finistère je suis du Morbihan. Je suis de là où sont mes fesses au final. Dans mon fauteuil!

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