15.6.12

Lire et voir

Hier soir, enfin quelque part au milieu de la nuit, j'entendais la radio. C'est un truc que je fais souvent ça, la radioreiller. Comme si le savoir entrait dans le crâne pendant le sommeil.
Bien souvent j'écoute les premières phrases, et ensuite le murmure me berce, j'entends sans comprendre,  je rêve.
Puis hier soir, c'était France culture (je n'arrive plus à lire les podcast de FI, l'application ne fonctionne plus) et un homme parlait avec un débit à l'inverse de moi. Tu ne sais pas comment je parle, mais tu peux imaginer l'eau qui jaillit au passage d'une centrale hydraulique. Lui, c'était le lac, où même les poissons sont tranquilles. Je pouvais presque respirer deux fois entre chaque mot. C'est peut-être pour ça que j'ai entendu cette fois. Ou peut-être que j'avais encore trop d'éveil de neurones, je fonctionne à l'envers du matin. Mon avenir m'appartient la nuit, moi.
Bref.
Alors il a dit (je ne sais même pas son nom à cet homme là) quelque chose comme "on ne peut pas voir ce que l'autre lit".
Eh bien me suis-je dit, ça c'est une vérité qu'elle est vraie.
Tu écris un mot. Il sera lu par mettons 3 pelés 2 tondus, et bien ce mot dans lequel tu as mis un sens, ou une image ou même une intention, il va devenir 5 façons, voire plus en fonction de l'imagination du lecteur, de sa vie, de ses expériences.
Les exemples les plus flagrants, c'est quand un metteur en scène se met en tête de faire un film à partir d'un livre.
Mais quelle gageure!! Là, le type il pose "son" image, une seule forcément puisque c'est une photo d'un instant, un acteur/trice, etc...
La fois où j'ai le plus ressenti la déception de ces rendus filmés d'un univers que je m'étais créé, c'est quand j'ai vu "Le hussard sur le toit". Là, je me suis pris une claque et me suis promis de ne plus jamais voir l'adaptation d'un livre que j'avais déjà lu.
Alors bien sûr, j'ai mis un temps fou (le temps d'oublier un peu) avant de voir l'adaptation de "Robots" de Isaac Asimov. Je ne peux plus voir en peinture une seule interprétation du "Petit Prince" quelle qu'elle soit, c'est comme ça, le Petit Prince il est à moi, il est avec la voix de Gérard Philippe, il est mes amours, mes envies, mes rêves, mes espoirs, mes tristesses et mes joies. Alors quand ma fille aînée me dit "non, je préfère le dessin animé" je pleure presque. Faut juste pas que j'oublie que ce livre lu à 10 ans (son âge) je ne l'avais pas plus aimé que ça, et que je l'ai redécouvert bien des années plus tard, genre 17 tu vois.
 Non, on ne peut pas voir ce que lit celui qui est en face de toi dans la rame de métro. On ne peut même pas savoir la véritable intention de l'auteur, sauf si celui-ci l'a exprimée un jour. C'est pourquoi je détestais les analyses de texte. "l'auteur a voulu dire que". Mais qu'est ce que tu en sais?
Là, tu vois, je te dis tu, je suis familière, je te parle à toi, mais qui es-tu toi? l'ami vrai que je connais? l'inconnu(e) dont j'ignore la voix et le visage? C'est ma façon depuis si longtemps que je n'arrive plus à m'en séparer pour le moment, ça me donne l'impression d'être au café avec toi, on se connait, tu vois, sauf que non, tu crois me connaître et moi, je ne te connais pas.
C'est comme ça les mots. On y voit ce qu'on veut bien y voir. Peut-être même qu'il y a plus de soi que ce qu'on croit.
C'est beau les mots, c'est élastique, personnel, individuel, multiple et universel. C'est tout toi et c'est tout moi, chacun dans son coin, avec le même langage mais des mondes différents.
Et puis parfois on dit le même mot au même moment, on rigole, parce qu'on se comprend.
Mais jamais ce que tu lis ne sera ce que je lis. Et c'est très bien comme ça.

2 commentaires:

Un petit mot n'est jamais si petit.

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