4.2.10

Quand vint (enfin?) le silence...

 Billet rédigé à cause ou grâce aux "Grillons " de Phil...

Il devait être 15h, ou à peu près, enfin, une heure pile puisqu'elle sonnait la fin d'un cours.
Je me suis retournée vers ma voisine et bien que la voyant bouger ses lèvres, je ne comprenais pas ce qu'elle disait. Ca faisait comme un film muet au ralenti, un Charlie Chaplin des temps modernes grimaçant sur sa machine, ouvrant des yeux ronds, abruti par le travail à la chaine.
J'entendais le bruit des chaises qu'on bouge, mais j'entendais plus encore, un craquement, un grondement, un sifflement, sourdre de l'intérieur de ma tête.
Je n'étais plus concentrée, je n'entendais plus que moi qui ne disait rien, j'avais une radio dans ma tête sauf que la fréquence ne se réglait pas d'un simple tour d'oreille.
A la fin de la journée, je dus marcher tête basse, concentrée sur les lignes des pavés, attentive aux sons nouveaux qui faisaient la part belle aux bruits de la ville. J'ai failli être happée par les portes grinçantes du bus, je ne les entendais plus de la même façon, je ne les avait pas reconnues.
Par cette magie maternelle qui a su dans la minute que l'affaire devait être sérieuse, je finissais la soirée d'abord chez un ORL et finalement à l'hôpital.
Voilà qui était bizarre.
Je n'avais mal nulle part, je me sentais assez en forme finalement, entourée de personnes pleine de bonnes attentions, c'était un jeu, tout se soigne.
J'avais des fous rires en répondant au téléphone de ce que j'appellerais plus tard ma "mauvaise" oreille, et que, n'entendant pas la voix de mon interlocuteur et répétant bêtement deux ou trois fois allo? allo?, je raccrochais, avant de réaliser que...
Je garde un souvenir assez flous de ces moments vagues d'interrogations diverses, de questionnement médical sérieux et embêté, j'appris que quand on ne peux pas poser un diagnostique ou trouver la cause d'un dysfonctionnement, on élude en parlant de "surdité brusque". Ben, oui, c'est un fait un jour j'entendais, et brusquement je n'entendais plus. D'une oreille seulement. La gauche.
J'avais de ces traitements qu'on donne aux "vieux" ces trucs qui fluidifient le sang m'a t-on expliqué, ou bien, la gloire, trente heures de "caisson hyperbare"; assise dans un coin je crois qu'en plus de dix séances j'ai lu tout Troyat, seule littérature possible à la bibliothèque de l'hôpital. Mes journées étaient longues, je me souviens d'un immense ennui, rien à faire dans ce lieu, pas de visites puisqu'à une heure de route de la maison.
J'ai même eu droit à des électrodes sur mon cuir chevelu pour voir l'activité de ce qui se passait là dessous.
Nada, rien, pas d'explications.
Je pris donc l'habitude de vivre avec. Je me rendis compte que les bruits de ma tête avaient cessé et cela était une victoire en soi, car entendre sans pause sonore aucune, du bruit, c'est épuisant. Tu poses ta tête sur l'oreiller et tu as encore un truc qui vient de siffler à l'oreille, tu mets un casque anti bruit, le bruit est dedans, tu écoute le bruit de la mer avec une scie sauteuse au loin...
J'ouvre mieux les yeux.
Mon oreille droite est quasi parfaite, elle compense, elle entend plus que ce qu'elle devrait.
J'ai fini de faire l'effort de tout comprendre des conversations à plus de quatre.
Fini de me tourner vers mon interlocuteur pour le comprendre, il se déplace ou bien moi, mais j'en ai vite assez de fixer les lèvres pour parvenir à comprendre un mot.
Ca m'arrive encore, lors du JT par exemple, d'essayer de comprendre sans écouter avec le mouvement des lèvres. Ce qui est drôle, c'est que les gens articulent différemment aussi avec les lèvres. Je suis capable assez rapidement de voir si c'est un film en anglais ou en français. Mais vous aussi sans doute.`
Je ne sais jamais d'où viennent les sons, il ne faut donc pas compter sur moi pour trouver d'où vient le cri de l'enfant lors d'une chute. En plus, les chameaux, quand je demande: "t'es où?" ils me répondent "làààà"...ça m'aide,  c'est sûr.
Avec moi aussi, leurs secrets sont bien gardés. Ils s'approchent de moi, accrochent leurs bras autour de mon cou, me tirent le visage vers eux en disant, viens, je vais te dire un secret, et contre ma mauvaise oreille se posent leurs lèvres et je sens le souffle chaud d'un secret brûlant que jamais je ne révèlerais...
Etre à moitié sourde, c'est une chance finalement: je suis mieux concentrée, je dors dans le silence, j'écoute autant de musique, je lis aussi vite qu'avant, je suis contente de ne pas avoir perdu la vue.
Un jour, j'apprendrai la langue des signes.
Mais cela voudra dire que j'ai décidé de rester sourde. Et je ne suis pas sûre de l'être assez.

PS: il n'existe pas d'appareillage pour les surdités de ce type. Je ne porterai donc jamais, quelle chance!, de sonothone...et je ne serai pas comme un v...c... ;-)

25 commentaires:

  1. Mon histoire de grillons est une fiction. Mais à lire ce que tu écris (très bien), je me dis que ce n'est pas si mal fichu que ça...
    Et je compatis sincèrement.

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  2. J'aimerais à l'époque avoir pensé à des grillons...la chose étant assez poétique.
    Je n'ai pas l'impression d'être sourde, je vis très bien, je n'ai pas besoin/envie de compassion, en fait si je n'en parle pas, ça ne se devine pas. C'est même drôle parfois, qd je réponds à côté de la plaque. ON me prends pour une fofolle, ça continue d eme faire sourire.
    Et ton texte fiction est très bien foutu. Et malgré le sonothone, je crains que tu ne sois jamais un Vieux C...

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  3. c terrible... mais je vois aussi que tu sais garder les secrets susurrés... c si rare de nos jours.

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  4. Charles...les enfants ne savent pas sussurer...mais je garde tous les secrets, c'est vrai ;-)

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  5. à ta droite...toujours...il m'arrive encore de l'oublier ...;-)

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  6. L'autre "P'pa"
    J'ai entendu l'autre jour, que la cécité coupe les gens des choses,mais que la surdité (totale évidement)coupe les gens des autre. Et pour avoir une très bonne amie sourde, c'est là que l'on se rend compte qu'il leur est très difficile de se mêler aux entendants. Il n'y a pas que la couleur de la peau qui ghettoïse...
    Heureusement,certains (très peu) y arrivent: c'est peut-être ça la faim de vie?

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  7. Bleupiloumawenn, ben, je sais, c'est pour ça que quelque fois tu me cherches, c'est que je suis dans ton dos, à faire le tour pour passer à ta gauche. :-p
    L'auutre P'pa,( elle est bonne celle là, je connais plein de gens papa) dit plutot Tonton? ah? c'est pas toi? c malin hein, anonyme, pfff, c'est pire que d'être sourd(e)
    Faim de vie oui et tant mieux!

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  8. imagine un mari qui n'entend qu'avec un sonotone. à 40 ans pas si v.. c.. que ça. à 50 ans même combat, à partir de quand deviendra-t-il un v...c...?
    le plus compliqué c'est qu'il ne dort pas avec les sonotone et, quand il fait silence : mots doux? mots tendres?
    ce serait bien sil n'entendait pas mes colères mais il n'est pas assez v... c... pour couper le son quand ça l'arrange
    même de travers la vie peut être une bonne farce. vive la vie alors

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  9. Moi j'avais repéré que tu as une oreille très développée et que tu en fais profiter les autres. Nos sens sont plein de découvertes du monde, surtout quand il faut compenser. Compenser c'est inventer. Inventer la communication par toutes les pores de la peau-de-la-vie. Et là aussi, j'ai repéré que tu aimes bigrement cela toi aussi.

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  10. Faim de vie... oui, t'as bien raison ! Puis la vie se croque à pleine dents alors tant pis pour les oreilles ;-)

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  11. J'ai aussi été influencé, pour le commentaire ci-dessus, par le livre que je lis en ce moment, dont l'héroine est sourde (talk, talk de TC Boyle).

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  12. Marie Anne, tu sais quoi, j'avais oublié le sonothone de ton mari jamais V..c..Sans doute parce qu'avant, il y a son sourire.
    Le pire, c'est qu'il y a plein de c...vieux ou jeunes avec ou sans sonothones. Parfois je me dit:"mais quel c..." à moi même. Au masculin toujours, c'est marrant ça passe mieux au masculin.
    Lôlà, l'autre avantage aussi c'est que je n'entends que ce que je veux bien entendre, enfin, c'est ce qu'on dit.
    Roréa, oui vaut mieux avoir de bonnes dents. Rien que poiur la pomme.
    Phil, j'ai lu "water music, je vais donc de ce pas trouver Talk talk, un vrai bonheur ce titre!

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  13. J'ai du me mettre du mauvais côté des fois, tu ne m'entendais pas Tifenn...

    J'ai aussi mes petits défauts, j'en parlerais un jour. Mais ça permet de se dépasser, de profiter autrement et encore mieux des choses.
    Besos

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  14. Ah Jack? tu m'as parlé et je n'ai pas entendu? mince, dans ce cas n'hésites pas à répéter la question, je ne serai pas vexée...
    Je dirais aussi que ce n'est pas un défaut, je suis contre les défauts, je dirais que c'est une caractéristique comme un trait de caractère. On le saura maintenant, la Tifenn elle est à moitié sourde. Mais c'est une fausse moitié.

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  15. Dans nos conversations, j'adore ces incompréhensions ponctués par de grands éclats de rires.
    Car tu ne ris pas à moitié, pas vrai ? :o)
    Encore convient-il de préciser qu'avec mon oreille droite (pas sourde mais sérieusement défaillante) je participe grandement à ces incompréhensions.
    J'en profite pour dire à Bleupiloumawenn : Avec moi, il faura te placer côté gauche. Tu te souviendras ? ;o)

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  16. Aaaahhh! . Il était temps qu'il sorte, celui -là!
    Merci pour les mots gentils!
    La langue des sourds (française, car hélas, il n'en est pas d'internationale) est une danse sans mensonge du corps qui cause. Et c'est très beau.
    Il n'est pas nécessaire d'être sourd à demi ou totalement par quelque processus que ce soit pour l'apprendre.

    Ce qui m'a le plus profondément choquée dans cette affaire là est le patron de l' ORL, à l'époque,de l'hôpital . J'avais demandé à le rencontrer pour essayer de savoir s'il existait d'autres hypothèses que : virus, spasme vasculaire ou.. que sais-je? la surveillante, qui connaissait son monde avait dit "vous êtes sûûûûre que vous voulez le rencontrer?" et, devant mon insistance, m'avait livrée au fauve.
    Et cet escogriffe là, du haut de sa puissance mandarinale, de sa morgue je suppose naturelle (ou éducative?) et de sa misogynie bien campée, avait répondu pour couvrir son ignorance ( partagée) de l'origine du phénomène,à la mère bouleversée que j'étais devant cette infortune de ma belle fille de 18 ans, je CITE:
    " madââââme, comme ce n'est pas léthaaaaal, nous n'avons pas de pièce de nécropsie".
    Voilà un bonhomme que je suis heureuse de ne pas compter au nombre de mes fréquentations.
    Il est vrai qu'à son époque, la psychologie de base ne faisait pas partie des enseignements, et ça faisait belle lurette que la philosophie n'était plus à la base de ces humanités là.
    En ce qui te concerne, j'attends toujours le déclic qui débloquera la machine.La vie est un miracle et plus nous apprenons et plus nous découvrons que nous en savons vraiment peu, très très peu. On ne sait pas pourquoi cet engrenage de l'audition - ou de l'écoute, c'est là une sacrée question- s'est interrompu. Donc on ne peut pas non plus affirmer qu'il ne se remettra pas en route. Quelle que soit la physiologie connue.
    Hop!
    Nous on te trouve bien plus riche qu'un tas de gens munis de leurs deux oreilles, alors...

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  17. Pardon d'ajouter encore:
    LA SURDITE BRUSQUE EST UNE URGENCE MEDICALE AB SO LUE
    Ce qui signifie pompiers et hôpital
    Bien que ça ne fasse pas du tout mal...

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  18. A l'époque n'existait pas l'IRM
    tu en as passé un depuis?
    Et serais tu encore toi si tu la récupérais ton oreille? 5bien qu'elle soit très jolie, hein).
    J'oublie tt le temps parce que tu ne nous le fais pas ressentir. Et moi même avec mes deux oreilles je suis quand même régulièrement à côté de la plaque, alors tes apparentes distractions je les attribue souvent à un trait familial...
    anonyme paramédicale

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  19. Marcus, nous, on discute? toi, sourd et moi sourde, ce sont les autres qui se marrent ;-)
    Tamutter (ah ah toujours) waaaaaa, record de longueur de com! comme quoi, la surdité rend bavard on dirait! ouip merci, je ne me souviens pas de ce V...C... là, et c'est tant meiux.
    Y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre...alors, j'entends, euh, j'attends que ça reienne ;-)ou bien qu'il me pousse un troisième oeil...
    Anonyme paramedical, 'tain, dans la famille faudra que je vous fasse un cours.
    Oui c'est vrai aussi, distraite, mais ya pire...le désordre, c'est mon oreille aussi tu crois?

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  20. Toujours la même grâce et pudeur à dévoiler... Je ne finis pas d'apprendre avec toi.

    Un jour, pendant que je galérais à expliquer les conjugaisons à un élève, je me suis un peu emportée et lui dis : "t'es sourd, André, ou quoi ?" et lui de répondre : "oui, j'ai même subi une opération ! " J'étais, évidemment, du côté de la mauvaise oreille.

    heureusement, il ne s'est pas fâché.

    Mais ça m'apprendra !

    Bonne nuit.

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  21. c'est noté Marcus ! Donc je me regale à l'idée d'une ballade avec vous deux, bras dessus bras dessous, entre vous deux ! Et oui Tifenn à ma gauche et Marcus à ma droite ! c'est ça hein? je me suis pas trompée???!!!

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  22. Etrange, je souffre de la même chose, je suis défintivement complètement sourde de l'oreille droite. sans rémission. Mais tu vois je reprends même la musique.

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  23. Bleupiloumawenn, bien entourée, toujours?
    CaroCarito, il y a deux ans je me suis mise à la clarinette...mais mon problème actuel est de trouver un prof, denrée rare dans mes contrées, où le biniou est roi...;)

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  24. Petite mes parents croyaient que je leur désobeissait lorsque je ne répondais pas à leur appels , les professeur me faisaient souvent des reflexions du genre " on fait comme si l'on ne m'avait pas entendu c'est cela ?!", ils ne savaient pas que je n'entendais pas de mon oreille droite , à vrai dire moi même je ne le savais pas très bien. Ce n'est que plus tard que je l'ai su de façons "officiel" car au bout d'un certains nombres d'années j'ai finis par m'en douter , mais nul dans ma famille ne voulait me croire " tu es juste un peu trop distraite " me disaient-ils" ou bien " tu t'enferme trop dans ton monde" . Raison de la surdité ? On ne sait pas affirment les médecins et je me dis qu'ils ne le sauront peut être jamais ... Votre écrit m'a beaucoup touchée , je m'y suis retrouvée . ça me rassure de ne pas être la seule à vivre cela ...Même si j'accèpte totalement ma condition , je répugne toujours à dire " handicap" trop lourd pour moi ...
    Merci beaucoup pour ce beau témoigne que je trouve très très bien écrit !

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  25. Anonyme, je suis toujours émue de voir quand un billet touche une personne. C'est moi qui dit merci dans ces cas là...

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