8.1.09

Germaine

A douze ans, j'étais aussi grande qu'elle.
Petite bonne femme, toute ronde, elle avait le cheveux noir et l'oeil bleu.
Sa coiffure était la même du matin au soir, depuis mon premier souvenir jusqu'au dernier. Un peu comme ces femmes que l'on voit se jeter sur les blindés à la Libération, elle les porte en une sorte de chignon qui lui fait le tour de la tête. Ça lui fait comme une couronne, et en fait, pour nous, c'était une reine.
J'ai l'image de sa silhouette se découpant sur la fenêtre de sa chambre, alors qu'elle les coiffe. Ils lui tombent plus bas que le dos, elle les tient de la main gauche, pendant que la droite fait passer la brosse de plastique noir et caoutchouc rose, d'abord sur les pointes puis au final sur la tête. Elle est assise sur le fauteuil en sky, à côté du téléphone orange avec le cadran qui tourne en faisant schhh, tictictictic...
Elle ne se regardait même plus dans la glace, si elle l'avait jamais fait, en ajustant ses épingles.
On habitait loin, la mondialisation ayant commencé dans la ville du département et allant s'étendre jusqu'aux départements d'Outre mer, mais la joie de la revoir était toujours la même: courir en bondissant de la voiture pour aller se jeter dans ses bras.
Elle nous attendait toujours, comme par un curieux sixième sens se passant de portable, devant la porte de sa maison en pierre recouverte d'un enduit abîmé. Sans doute, le coup de klaxon paternel devant une autre maison, celle du grand virage, lui disait que notre arrivée était imminente. Elle sentait l'eau de cologne, et souriait en nous serrant contre elle.
Elle n'avait rien, mais donnait tout.
Avec mon frère, on se faisait une fête du séjour que nous allions passer chez elle; libres de tout faire, de regarder la télé et de manger du chocolat Milk*. On ne le faisait jamais trop longtemps, la maison voisine avait un immense portique avec trapèze et anneaux, et la maison après était celle de mon amie d'enfance. J'y allais avec les sacs à main que Mamie me laissait prendre, suffisamment en cuir pour faire la dame, et jouer à être grande.
Sa maison était comme une caverne, avec des recoins, des piles, des tas, des tiroirs pleins de trésors, ou d'objets hétéroclites qu'elle ne devait jamais vouloir jeter. On ne sait jamais.
L'essentiel était de pouvoir faire craquer le parquet sous la moquette rouge, le faire trembler en faisant des bonds, et monter au grenier trouver des objets encore plus vieux et poussiéreux. Sans compter la collection de la revue "Nous deux" dont les photos à bulles m'ont fascinées.
Elle avait gardé l'armoire avec les affaires de Papi. Un jour, j'ai porté son caban de marin, celui comme Corto Maltèse, bleu marine en laine, doublé de coton blanc rayé. Trop large aux épaules, un peu serré sous les bras, mais un vrai, le seul à résister au temps breton.
On avait 50 ans d'écart. Une jeune Mamie en somme. C'est pourquoi ça n'aurait jamais du se passer comme ça. Pendant longtemps je n'ai pas cru à son départ, elle avait 62 ans. D'abord quand mon frère me l'a dit. Et puis quand je la voyais apparaître à la fenêtre de la cuisine de la maison au toit plat, quand il faisait nuit. Je fermais les yeux et elle n'était plus là.
J'ai quelques points communs avec elle.
Le même nez.
Et la même faculté de rangement. Celui qui fait qu'il n'y a que moi qui trouve. Bien trop compliqué pour les autres.
Je pense en avoir d'autres, mais ma modestie m'empêche d'en faire étalage...eh eh.

PS (après les commentaires de Noèse et de Kitem): Mamie est partie quand j'avais 12 ou 13 ans, je ne sais plus. C'est maintenant que je réalise qu'elle était jeune. Nous étions absents, loin, à une dizaine de milliers de kilomètres. C'est pourquoi je pense que je n'ai pas cru à sa disparition et que je la voyais de la fenêtre de la cuisine là bas à St Pierre.
Je vous remercie de vos sentiments de tristesse, ils restent valables même à 20 ans d'intervalle.


9 commentaires:

  1. pas mal le new look...

    dans les gènes qui t'ont été transmis, hors la faculté du désordre, la générosité je pense... au moins.

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  2. Bien aimé la sérénité et la douce nostalgie de l'enfance.
    Mes condoléances.

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  3. "Et la même faculté de rangement."
    Ah c'est donc ça… :o)

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  4. Le coeur sur les mains : je pense qu'elle en avait bien deux.
    Une vivacité d'esprit difficile à rattraper.
    Une finesse, toujours à bon escient, de haut vol.
    Jamais dupe.
    Un tempérament de feu, gardé comme on met de côté des braises, prêt à réchauffer le monde et à ragaillardir tous les foyers pâlots des environs.
    Un courage à affonter un porte -avions où au moins à conduire seule une charrue pour faire vivre une famille. A 15 ans. Ou plus tard.
    Une remarquable et saine franchise qui nous permettait de nous ajuster en temps réel et de vivre côte à côte simplement. ( mais sans abus, hein, faut pas abuser! )
    Digne. dans son maintien physique et moral et psychologique. Debout.
    Admirable.

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  5. Et puis d'abord, c'est Catherine!

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  6. Pour nous c'était mamie Catherine, beaucoup plus petite et moinsde souvenir... si ce n'est la pause gouter de minuit, ou nous nous sommes retrouvée à manger une banane. Et ce rangements... le même systéme nous aété transmis.
    Je pense que c'est une marque de fabrique (qui a beaucoup fait hurler maman... jusqu'a ce qu'elle abandonne) et puis les souvenir de ce derniers week-end juste avant le coup de téléphone... et les sandwichs qu'elle nous avait enveloppé dans des feuilles de fougeres...

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  8. Bonjour Tifen,

    2ème visite et même persuasion : on dirait moi ! C'est étrange ce sentiment, se dire qu'une autre là-bas, ressent, écrit des sentiments qui me ressemblent tellement... Mes grand-mères sont toujours là mais elles partent doucement, doucement. Nées juste avant la guerre de 14, c'est toujours avec énormément d'émotion que je pense à elles. Elles sont le synonyme de mon enfance, le jour où l'une puis l'autre partira, que deviendront tous ses beaux souvenirs ?

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  9. C'est vrai j'ai cru qu'elle venait juste de partir, c'est que sa presence te manque encore. Etre grand mere, trop facile, rien a faire que de se garder en forme pour continuer a faire des pirouettes et savoir raconter des histoires merveilleuses meme pas pour s'endormir apres.
    Quel dommage qu'elle soit partie si jeune.

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