3.7.08

La Vie, aussi...

Elle entend les premiers bruits très tôt. En hiver la nuit est encore noire, mais l'été le chant des oiseaux a déjà envahi le ciel.
Elle devine les pas rapides sur le carrelage, la résonance des couverts déplacés dans le tiroir.
Il faut ouvrir les yeux, c'est le matin.
L'homme a déjà fait passer le café, les enfants sont assis, presque silencieux: la bouche pleine, le menton de confiture et les mains qui pèguent.
Et puis, un moment, c'est le silence. La baies ouverte en grand sur le jardin où la fleur de trèfle rappelle que la tonte va devenir nécessaire, les chats chassant le mulot par bonds égarés, les quelques voitures de travailleurs de semaine soulevant un nuage de poussière.
Il faut ranger, laver, habiller, soupirer devant l'ordre des enfants, sourire devant le rangement des livres, rêver de l'avenir.
Le déjeuner sur la table dehors refroidit vite, malgré le soleil qui chauffe le cou, la luminosité qui fait plisser le bleus des yeux des écoliers pressés.
A l'heure de la sieste, elle court après la chipie qui rit en galopant autour du jardin, des chaises, sur la terrasse, dans le couloir, mais jamais dans la direction utile, celle du lit. Enfin elle est attrapée, portée comme un baluchon, et allongée dans son lit de grande, puisque telle est le cas...
Laisser à la surveillance du père la belle endormie, et proposer au fils de venir voir les éléments indispensables à la fabrication d'une chambre d'hôtes.
Le regarder dormir à l'arrière, et s'émerveiller de son réveil instantané et frais au moment voulu.
Rentrer les bras chargés, le porte monnaie creux, et montrer fièrement les soi-disant "bonnes affaires" au mari, désabusé.
Préparer le goûter, pour les affamés. Café pour les épuisés.
Elle pense encore qu'ils se coucheront tôt, que les enfants ont bien courus et que sans doute ils n'auront pas besoin de berceuse.
Il fait assez beau pour aller pique niquer à la plage, le panier n'est pas long à faire, il ne faut pas oublier les trois pelles.
Ils y retrouvent d'autres parents optimistes, d'autres enfants actifs et joyeux, elle regarde avec dégoût la méduse péchée par le filet d'un enfant fier, avec une grimace le tas de crabes desséché fabriqué par la marée.
La douche au retour est collective et rapide, elle est pleine d'espoir sur la longue nuit à venir.
Ils sentent bon, ils sont propres, ils sont chauds, ils sont doux, assez petits pour être engloutis dans les bras ouverts, assez grands pour dire "je t'aime bien, maman".
Un moment règne le silence. La question de voir un film se pose, la question du genre aussi, la fatigue l'emporte, au lit!
Le pain embaume alors la maison, elle le sortira du four dans un dernier sursaut, entre deux chapitres.
Elle s'endort, enfin.
Des petits pas, une petite main, un petit corps se glisse alors sous les draps "j'ai fait un cauchemar, maman".
Réveillée, elle sait que le sommeil s'est enfui.
Elle reprend son livre, retente le bras de Morphée, n'y parvient pas, allume la radio près de son oreille.
Il est deux heures du matin ce 3 juillet 2008 quand elle entend l'incroyable: Ingrid est libérée.
Cette femme qui n'a plus de vie depuis plus de six ans, l'âge de ma fille, cette femme que tout le monde tutoie, appelle de son prénom, que chacun s'est approprié, dont le visage est aussi connu que celui de Florence Aubenas, aussi montré que la voix douce et déterminée de sa fille Mélanie est entendue, est enfin libre.
Elle est sûre de ne pas dormir tout de suite.

8 commentaires:

  1. Appelée par Benjamine, je n'ai pas osé transmettre aussitôt,les aiguilles du cadran n'étant pas à la place adaptée pour une sonnerie chez une jolie famille...

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  2. Oui, la libération d'Ingrid est une merveilleuse nouvelle.
    Mais toi, Tifenn, pauvre otage consentante de tout ton petit monde merveilleux…

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  3. Anonyme, si tu avais appelé si tôt je ne t'aurais plus appelé anonyme..
    Marcus, otage moi? de mes rêves c'est bien assez!
    Balmeyer, à vrai dire j'avais prévu plus compliqué avec anecdotes plus piquantes, mais je me suis laissée emmener...le fil parfois, dérive...

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  4. Je suis heureuse que tu en parles, surtout ainsi. J'ai vu la nouvelle hier soir sur internet, ca m'a pris au coeur. Personne n'en parle ici, pas comme en France en tout cas. Les banderoles, les declarations colombiennes, les discours de sa fille. Jusqu'a la tentative avortee a cause de chamailleries gouvernementales. Ingrid etait devenue une sorte de figure collective, et elle peut maintenant (nous) reprendre sa vie. Quelque part, je suis etonnee aue ca me touche autant. Bisous des States miss Tifenn

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. Merci Marie de passer par là...tu as raison, on lui rend sa vie, et ça nous touche parce qu'elle faisait partie de la notre, finalement...

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  7. Ah elle est bien jolie la vie qu'on aime.

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