22.10.08

La mer # 3

La partie de Tarot s'est terminée dans la nuit.
C'est la première fois qu'elle y joue, elle a gagné, la chance de débutant.
Il y a eu quelques petits verres de rhum, elle n'en n'a pas bu, pas fan.
Casés à quatre dans le carré du first 30, les volutes de fumées rendent flous les contours de la table à carte, et par l'ouverture, on aperçoit les étoiles.
Il est minuit, il fait chaud cet été là.
Nous sortons nous dégourdir les jambes, on s'assoit dans la "baignoire" , soufflant nos nuages haut dans le ciel, la tête renversée sur nos cous tordus.
"Et si on se baignait?"
C'est l'époque, c'est l'heure puisqu'un bain c'est minuit.
Nous nous dévêtons rapidement, frissonnants dans l'air frais de la nuit.
Nous faisons glisser l'échelle, il ne s'agirait pas de ne pas pouvoir remonter, et nous sautons dans l'eau avec force vagues et bruits de cascade.
Quelques brasses pour se réchauffer, nous sommes dans l'atlantique, en rade de Brest...
Et nous nageons, faisons des ronds dans l'eau autour du bateau. Il nous sert de repère, et nous admirons les lumières de la côte pas très loin. Il ne nous viendrait pas à l'idée de rejoindre la plage, non, c'est bien mieux en plein océan, noir sur noir.
En fait non. Nous brillons de mille et une lumières. Chacun de nos mouvement fait phosphorer le plancton et nous nageons dans des étoiles. Nous faisons "Ooh" "Aah", parce que c'est beau, c'est magique, nous ne savions pas que c'était possible, c'est la scientifique du lot qui nous l'explique.
Alors, nous faisons les enfants dans le bain. Sur le dos nous battons des pieds, des jambes, sans avoir peur d'éclabousser le voisin. Nous formons des centaines de vagues brillantes comme un poteau luminescent sur la route. Nous fabriquons des tourbillons capable d'avaler des trous noirs, nous sommes des magiciens à faire luire la mer.
Et nous sommes jeunes, beaux, et heureux comme un moment rare, nous sommes vivants.

21.10.08

La mer # 2

C'est novembre. Du, en breton, le mois noir.
Dehors, il fait froid, et pour une fois, il ne pleut pas.
Le ciel est bas, blanc, lourd. Nous avons revêtu nos habits de mer. Aujourd'hui, c'est régate.
Au port de plaisance, les hommes et rares femmes, engoncés dans leurs vestes de quart rouges ou blanches, se déplacent sur le coussin de leurs bottes à la marque de l'oiseau.
Descendre le ponton flottant, très pentu ce matin là, avec les voiles, lourdes, le génois, le foc, le spi...la glacière avec le pique nique, le jerrican plein en cas de "pétole", les bonnets chaud contre le vent et le froid.
On monte à bord, on se souffle dans les mains, on est euphorique, content, c'est une longue journée qui commence.
Le vrai voileux ne sort pas son bateau du ponton avec le moteur.
Non, le vrai voileux fait silence en manoeuvre, rien que les cris des hommes.
Un équipier reste dehors, fait glisser le bateau le long du ponton, à reculons, et saute sur le bateau par l'avant dès que la coque est dégagée de sa place. Alors, le barreur lofe, attend que la voile prenne le vent, et file à petite vitesse hors du port.
Parfois, c'est plus périlleux; le vent souffle, les voiles claquent, il faut serrer au vent pour ne pas se laisser trop emporter.

Aujourd'hui, c'est extraordinaire.
Alors que le nez du dériveur pointe sur la jetée, il se met à tomber de doux flocons.
C'est novembre et il neige sur l'atlantique, en rade de Brest un dimanche matin.
Nous restons muets, surpris et émerveillés. La neige qui se pose sur l'eau salée, fond, comme si elle n'était pas assez forte pour résister à l'élément.
L'atmosphère a changé. Nous cinq sommes encore sous le charme et nous pensons ne pas être les seuls car comme à terre, les bruits sont étouffés.
A bâbord, un autre dériveur glisse sur l'eau, nous nous faisons signe, nous sommes en route pour la ligne de départ.
C'est l'heure, le bateau comité réapparaît lorsque la neige a fini de se donner en spectacle, c'est au tour du vent de chasser le silence et de faire voguer la vingtaine de coques, bien petites sur ce si grand océan.

La Mer #1

crédit photoElle pouvait courir partout sur cette grande plage de sable blanc et fin.

Des kilomètres d'étendues éblouissantes, de milliards de petits grains qui réverbéraient un soleil d'été impitoyable.
Elle était blonde, elle jouait avec son amie de vacances, celle dont elle ne savait que le prénom, parce que c'est comme ça. Elle l'a revue au collège, par un hasard incroyable, les circonstances n'étaient plus les mêmes, la plage, bien loin.

Parfois, elle partait dans la petite ville vers le grand hôtel vert, où les meubles bretons luisaient de cire, où le craquement de l'escalier de bois ne pouvait qu'avertir son autre ami de vacances qu'elle arrivait.
Elle ne sait plus combien d'été elle a joué avec ce garçon, dont elle ne se rappelle que la présence et le jeu. Un, ou deux ? L'hôtel, il y vivait, c'était à lui, ou à ses grands parents, cet hôtel n'est plus. Elle piétine dans ses souvenirs à se rappeler comment elle s'y rendait, et pourquoi?
Et c'était parti pour des heures de jeux sur les entiers côtiers escarpés, l'aventure en somme à quelques pas de l'appartement de la grand-mère.
L'immeuble, ancien hôtel de la Falaise, typique d'une cité balnéaire, avec ses petits hublots en guise de fenêtres (la cuisine et une chambre) avait gardé son odeur:

Celle de la mer qui reste sur le bois du haveneau qui a servi aux crevettes, celle du sel qui grippe les pièces métalliques du panier de crabe, celle du sable qui s'infiltre dans chaque interstice du plancher de bois, entre les plis de la chaise longue en toile, dans le fond du seau coloré qui faisait les châteaux de sable.
Pour se baigner, c'était simple. Ne sachant pas nager, elle faisait la planche avec l'aide de son grand père, parfois, quand il était revenu de le pêche aux crevettes.
Mais le plus souvent, à la marée descendante, chercher un trou d'eau dans le sable, entre deux ou trois cailloux. Le soleil avait chauffé l'eau, il lui semblait que c'était un pur délice.
D'autres fois, elle creusait des cavités dans le sable mouillé, et avec son amie, elle s'inventait une maison. Un après midi suffisait à fabriquer une cuisine avec des galets ronds en guise de plancher et des sièges de sable gris pour prendre le thé.
Les journées s'écoulaient paisibles, immuables.
Le soir, elle remontait sur le sable rejoindre l'aïeule qui l'attendait tricotant sur son petit fauteuil pliant au ras du sol, et chargées elle faisaient les 50 m qui les séparaient de la "maison".
Elles prenaient parfois la voiture pour une balade. Là, la fillette s'agrippait au poignées en simili cuir rouge, des sangles accrochées en boucles sur la porte, assorties au revêtement des sièges de la voiture, eux aussi rouges.. Sa grand mère adorait conduire, elle portait des gants en cuir percé au niveau des jointures avec un bouton pression sur le poignet.
La voiture était blanche, elle éblouissait.
Et le soleil brillait.

19.10.08

Chat rit varie



Quand elle a vu passer le corps de la bête pour la mise en terre, la larme est tombée.
L'enfant:
_"Mais comment va t-il faire pour aller au paradis? pour se déterrer?"
_"Maman, il est où Tigré?"
_"Mais, il faut lui faire une maison pour le paradis"
_"Léo, ton petit chat est mort, il ne faut pas que tu sois triste, il va au paradis"
_"Maman, j'ai dit à Léo que son petit chat est mort"
_"Mais, petit frère, elle ne comprend pas, tu sais bien, elle ne parle pas!"
_"On le met là, comme ça on pourra venir le voir"
_"Heureusement qu'on a Crème et Moustache, hein maman?"
_"Oui, mais Crème, elle est avec Grand-Mère"
_"C'est pas grave on la verra souvent"
_"Moustache, je ne veux pas qu'on le donne"

Il est au pied du Charme.
Et ce matin, le soleil.

et merci.

17.10.08

Le petit Chat est mort.


Sur la route, écrasé,
Le petit chat tigré.
Pas vu, ce matin, à l'entrebâillement de la porte,
Pas couru, comme les autres, sur l'assiette qu'on croque.
Sur le chemin de l'école,
A main droite, son corps.
Sur le chemin de l'école,
Le chagrin, même encore.
Ce soir, cérémonie,
Il va au Paradis.
C'est ce que les enfants ont dit.

16.10.08

Le Petit âne Gris

Il n'y a pas qu'à Locoal, ou à Brocéliande que d'étranges histoires perdurent...

Il y a des pays où la Rive est Douce, l'eau, Salée, et les Anes, en Pantalon.

On ne doit plus dire Bonnet d'Ane. C'est interdit. Par moi. C'est comme dire, "bête comme ses pieds"...qui a dit que les pieds sont bêtes? bon, ils ne sont pas près du cerveau, mais essayez de marcher sans pieds, pour voir...

Et puis, quand la Rive est douce, les habitants sont rétais, comme têtus.

Alors, les histoires se croisent, les échanges se font riches, et la confiture, de Figues.

Et puis même si le colis était piégé, comme je le savais il n'y a pas eu coupure ni griffe. Juste une lame, pour grigner mieux, ça permet de manger du (bon) pain.

Et puis ça, ça ne s'invente pas!

Et c'est tant mieux, parce que les amis du Petit âne gris sont très nombreux ( les marmitons le sont aussi) (et de sa femme) (évidemment)
(et l'homme a dit: et puis moi?) (et puis quoi, encore)
MERCI.

8.10.08

L'effet Milka.

La Grand-mère était généreuse. De coeur et de formes.
En vacances, en été, l'épicier et sa camionnette partis, les enfants se jetaient sur la tablette de chocolat, enrobée dans du papier mauve, avec une vache tout aussi mauve dessus. Un cadeau du coeur d'une mamie trop pauvre, mais riche pour ses petits enfants.
C'était bon, comme un interdit transgressé. Un carré avalé ouvrait la porte à mille autres. Les mains se tachaient de ce sucre coulant et les doigts étaient léchés avec application, jusqu'au goût de l'herbe et le sueur enfantine qui restaient attachés à la peau, souvenirs des jeux dans le jardin.

Des années lumière plus tard, sur le rayonnage du magasin, cette sensation lui revint en mémoire.
D'un geste sûr, elle glissa le délit dans le panier, et le sourire en coin en bandoulière, elle rentra chez elle.

L'emballage avait changé, évolué. Une seule épaisseur d'un papier plastifié et plus facile à déballer. Le temps est aux plaisirs faciles.
Le symbole était resté le même. Une écriture arrondie, un peu penchée, rassurante.
Et la vache bien sûr.
Comme le chat. Celui que ses enfants avaient surnommé "Vache" parce que de blanc et de noir taché.
Milka. Comme le nom qui a été donné à ce chat par la fillette qui l'a choisi. Avec l'humour de ses parents.

Mais le goût?
Le goût, c'est lui qui fait prendre de l'âge, de la distance.
Exagérément sucré. Comme un souvenir trop liquoreux.
Le café lui fit glisser ce carreau trop sentimental, et sa fille de 6 ans, bientôt 7 et l'âge de raison, découvrant le paquet, y goûtant, déclara:
"J'aimerais bien que tu achètes encore ce genre de chocolat là, maman, il est vraiment mon préféré"
L'effet Milka.

6.10.08

Dormir?

Avant, elle avait connu un homme qui s'endormait avec de l'auto suggestion. Il fallait se faire passer pour son corps, devenir orteil, puis cheville, puis genoux, tous les éléments de l'anatomie dont il se souvenait. Il se disait: "mon petit orteil est mou, il a chaud, il est souple, il se fatigue, il baille, il s'endort..." et ainsi de suite.
Elle, elle abandonnait souvent au niveau du genou, au mieux du nombril, soit prise d'impatience, soit d'un rire nerveux, devant ce qu'elle ne parvenait pas à prendre au sérieux.
C'était il y a bien longtemps.
Il fait nuit noire. Les chiffres rouges du radio réveil projetés au mur indiquent 2h42. Du matin.
Elle a la tête bien enfoncée dans son oreiller, le corps en chien de fusil, les yeux hermétiquement clos. Si elle se laissait faire, elle ferait partie intégrante de l'oreiller, de la couette, du matelas, ferme juste ce qu'il faut.
Il est 2h43 et un son l'éveille. C'est un de ses petits.
Petits. Grands par la place qu'ils prennent, dans son coeur et spatialement.
Parce que les jours sans école, c'est foutraque. Partout, des jouets, des bidules chouettes ou cassés qui se traînent sur le plancher.
Parce qu'à table, il est impossible aux géniteurs, aux reproducteurs de l'espèce loin d'être en voie d'extinction, il est impossible de se parler. Si d'aventure ils parviennent à s'échanger trois ou quatre mots "t'as réglé les impôts?" il leur faut fournir un tas d'explications: "c'est quoi ce que tu as dit à Papa?"
Mais la nuit, la tête dans un ailleurs si souvent inaccessible, elle voudrait bien être plus petite qu'une souris. Elle voudrait bien qu'ils n'aient pas ce réflexe primal de crier "mamaaaan" au moindre réveil.
Elle a sa tête au fond des choses, il faut qu'elle se lève, pour consolercalinermoucherdonneràboiresoulagerremettrelacouettetombéechercherlabaleinedanslesalon...
et là, elle soupire.
Elle se souvient du temps où elle se bidonnait de devoir parler à ses pieds pour parvenir à fermer l'oeil.
Elle se remémore les grasses matinées au delà de 8h30.
Elle se dit qu'on ne lui avait pas dit.
Qu'un enfant, ça ne dort pas tout le temps, et qu'à 36 ans, dès 22h elle pourrait dormir rien qu'en y pensant.
Avec sa tête, pas besoin des pieds. D'accord, c'est un progrès.

3.10.08

Eve

Il fut un temps où je lisais ce que l'on me donnait à lire, l'école.
Un temps où je choisis mes livres, pour lire, pour rien, la science fiction, les polars...
Et le temps de maintenant où je me dis que je peux lire ce qu'il FAUT lire, mais pour et par plaisir...

Ainsi, je m'attaque à une oeuvre immense, que tout le monde a déjà lue mais pas moi, et que je découvre, me délectant de chaque mot.

Mon carré de chocolat 70% de cacao, fort, dur, à grignoter à petite dose pour vraiment pro-fi-ter, c'est "La Légende des siècles".
J'en suis aux balbutiements et déjà je suis éblouie du talent, des mots, des vers, du sens...oui, évidemment, me dîtes vous.

Hier soir, j'ai lu ça (lire lentement, paisiblement, rouler les mots dans le Palais de la bouche):

"Eve offrait au ciel bleu la sainte nudité ,
Eve blonde admirait l'aube, sa soeur vermeille .

Chair de femme ! argile idéale ! Ô merveille !
Ô pénétration sublime de l'esprit !
Dans le limon que l'Etre ineffable pétrit !
Matière où l'âme brille à travers son suaire !
Boue où l'on voit les doigts du divin statuaire !
Fange auguste appelant le baiser et le coeur ,
Si sainte, qu'on ne sait, tant l'amour est vainqueur ,
Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée ,
Si cette volupté n'est pas une pensée ,
Et qu'on ne peut, à l'heure où les sens sont en feu ,
Étreindre la beauté sans croire embrasser Dieu !

Eve laissait errer ses yeux sur la nature.

Et, sous les vers palmiers à la haute stature ,
Autour d'Eve, au-dessus de sa tête, l'oeillet ,
Semblait songer, le bleu lotus se recueillait ,
Le frais myosotis se souvenait ; les roses
Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes ;
Un souffle fraternel sortait du lys vermeil ;
Comme si ce doux être eût été leur pareil ,
Comme si de ces fleurs, ayant toutes une âme ,
La plus belle s'était épanouie en femme ."

Je reste pantoise et admirative. Sacré Victor!